19. Pataarpanga a une amoureuse
- On est dans la merde hein, me dit Soulby.
- On n’a qu’à se faire oublier, répondis-je.
- En comment faisant ?
- Comme nous n’avons pas communiqué nos noms au professeur et au recteur, restons loin d’eux.
- Par exemple, en ne participant plus au cours du prof ?
- Non, ce serait idiot. Tu as de l’argent pour faire des photocopies ? Non. Alors, on suit ses cours mais en restant bien au fond de la salle. Etant donné que ce n’est pas un amateur de marathon, je suis certain qu’il ne se tapera pas tout ce parcours, depuis son bureau, pour parvenir à nous.
- Tu m’étonnes, Pataar ! Je ne savais pas que tu réfléchissais tant !
- Insultes-moi encore et je t’assure que je te montrerai que mes muscles réfléchissent aussi !
- Oh, du calme ! Et si on allait au RU ?
- Il est 20h. Tu veux aller manger dans les poubelles ?
- Que proposes-tu alors ?
- Allons dans un restaurant !
Quelques minutes plus tard, une table séparait Soulby de moi et une petite assiette trônait au milieu. Nos bouches étaient déjà en train de danser le show du « benga », à grand renfort de gobelet d’eau. Quand le show prit fin, je me rendis chez la bonne dame (la DJ) pour en payer le prix. Et c’est là que je découvris que cette dernière pouvait gagner d’autres prix. Un échantillon : miss « Pougbédré », miss lolo, miss maman, miss beau sourire. Je tendis mes 100 F CFA et je fus surpris de voir sa tête se secouer en signe de dénégation. Elle gagnerait aussi le prix miss Incompréhensible.
- Pourquoi ? demandai-je.
- C’est gratuit pour vous aujourd’hui et aussi tous les jours si… approchez !
Avec la tête remplie de nombreuses questions, je tendis mon oreille à la confidence de sa bouche. Quand celle-ci eut murmuré ce qu’elle avait de si confidentiel, je noircis des pieds jusqu’à la racine des cheveux…enfin, j’étais déjà noir, mais à défaut de dire que j’ai rougi … Bref, je pris mes jambes à mon cou et retrouvai Soulby.
- Qu’est-ce qu’il y a ? Tu as vu le fantôme de ton trois fois arrière-grand père pour courir de la sorte ?
- Pire, c’est celui de l’ennemie de mon quadruple arrière-grand-mère !
- ?
- Je te raconte plus loin !
Plus loin, Soulby riait en se tenant les côtes.
- Qu’est-ce qu’il y a de si drôle ? demandai-je, enflé comme un éléphant adulte.
- Mais… c’est génial ! (rires). Je dirai même plus, c’est formi (rires) dable !
- Arrête de te moquer de moi et parle sérieusement.
Soulby mit un quart d’heure pour se calmer, puis me fixant, il dit :
- Accepte !
- Quoi ? Tu m’imagines avec cette femme ? Tu… En plus, elle est mariée !
- Elle t’a dit qu’elle est mariée ?
- Non. Mais une femme se balade rarement seule à cet âge dans les rues de la vie !
- Peut-être qu’elle n’est pas mariée. C’est certainement une veuve ou une vieille fille ou … je ne sais pas moi ! Ce qui est sûr, il y a un incendie qui s’est déclaré chez elle et elle t’a appelé. Depuis quand tu as vu un pompier refuser d’éteindre un feu ? Attention, tu risques d’être attrait devant la justice pour non assistance à personne en danger !
- Je…
- Calme-toi. Pour parler plus sérieusement, n’oublie pas qu’on aura gratuitement et tous les jours du « benga » et qui sait, peut-être plus que cela !
- Si je comprends bien, tu me demandes de me prostituer !
- Non, voyons ! Evite d’employer de si gros mots quand on parle de choses sérieuses ! Je te demande juste d’être réaliste. Avec cette opportunité, nous pourrons diminuer les charges qui pèsent sur nous.
- Pas question que je vende mon âme pour avoir de l’argent !
- Bon, d’accord, je te propose quelque chose. Tu le feras juste six mois !
- Non.
- Disons cinq mois alors ?
- Mais tu te rends compte ? Tu veux que je …je couche avec cette …
- Je t’ai dit d’éviter les gros mots ! Qui t’a parlé de coucher avec elle ? Il te suffit juste de jouer les amoureux de temps en temps, de la câliner, de l’embrass…
- Pas question !
- Je suis raisonnable : trois mois !
- Non.
- Ok. Un mois. C’est mon dernier prix !
- N…
- Hey ! Ne sois pas égoïste ! N’oublie pas que c’est moi qui t’ai épaulé depuis que tu as chuté à Ouagadougou tel un extraterrestre de son OVNI. Alors, pour une fois que je te demande quelque chose, fais un effort.
Je fis un effort et … j’acceptai le deal pour un mois.
Pendant deux semaines, pas de problème. Elle m’appelle matin, midi, minuit, matin. Quand on se voit, câlins, clins d’œil et « chéri (e), gros bisou ! » Pendant deux semaines, Soulby et moi avons économisé 2 800 F FCFA de tickets de RU et on a pu s’acheter chacun une demi-rame de papier. Tout allait donc bien et je priais Dieu et tous ces anges, et même ses diables, pour que cela continue ainsi les deux semaines restantes. Mais hélas, j’ai dû trop prier ! La troisième semaine, tout bascula. Ma « chérie » réclamait qu’on passe à la vitesse supérieure sur le macadam du… matelas ! Ce n’était pas prévu dans le contrat, ça !
Un soir Soulby et moi étions assis en train de piocher dans une assiette. Je n’avais pas grand appétit car le regard de ma chérie était dardé sur moi.
- Tu ne manges pas aujourd’hui, hein ! fit Soulby la bouche pleine.
« Le salaud », me suis-je dit intérieurement. Il m’entraîne toujours dans des problèmes et c’est généralement moi qui payais les pots cassés. Soudain, ma pensée fut tranchée par un clin d’œil et un signe de main qui m’entraînèrent à mon insu hors du hangar. Je me retrouvai nez à nez avec une charmante demoiselle au parfum capable de damner un démon et aux lèvres pulpeuses. Et dangereuses aussi quand j’entendis ce qui sortit de leur antre enchanteur :
- Si tu touches à ma mère, tu es mort…
Abdou ZOURE