Les Nouvelles de Zouré

Les Nouvelles de Zouré

6- CAMPUS SANS CHAR

 

Je sentis que mon envolée lyrique ne recevait plus d’écho. J’ouvris un œil. Je vis ses deux globes postérieurs admirablement moulés qui se balançaient …vers la sortie. Automatiquement, je devins une star nigériane : « No one like you ! No one ! No one ! Hey !” Elle stoppa. Et se retourna. Je continuai à scander ma chanson. Je ne sais pas si ma voix était celle d’un corbeau ou d’une cornemuse, mais en tout cas, je beuglais mon « no one like you » avec conviction.

Elle sourit enfin et me fit un clin d’œil. Wou ! Cela me donna des ailes. J’entamai un sprint pour la rejoindre. Mais j’avais oublié les immigrés clandestins qui avaient envahi le pays de Caucase qu’est cet amphithéâtre : les briques. L’une d’elle, qui a sans doute jugé ma course un peu ridicule, s’est amusée à me faire un croc-en-jambe. Et me voilà planant vers ma dulcinée. Sa bouche s’arrondit de surprise. Et moi, j’ouvris les bras, prêt à l’emporter comme un ange dans les airs. Mais il y eut un petit problème : le moteur à réaction cala et le crash eut lieu. Fort douloureusement.

Je m’abattis en effet à quelques centimètres des orteils de Sandrine. Sur une autre de ces satanées briques. Me relevant doucement, j’embrassai ses orteils (pas ceux de la brique, évidemment ! ), puis sa main. Elle me demanda :

- Pataarpanga, tu n’es pas blessé ?

Et voilà que je devins une star européenne !

- Everything I do, oohhooho, I do it fooooooor you !

Sandrine rit aux éclats. Je voulus l’accompagner dans sa randonnée de rigolade mais mes côtes protestèrent vigoureusement. Elles étaient fêlées.

- Je te raccompagne car j’estime que tu m’as pardonné.

- Je dirai même plus : Montre-moi où tu habites !

Mon cœur fit un entrechat doublé d’une pirouette sur le terrain de ma poitrine.  Quelle aubaine ! Et nous voilà dégringolant les marches de la sortie de l’amphi. Elle n’avait pas d’engin. Je me dirigeai donc vers mon vélo. Il était adossé à un gigantesque karité penché sur un côté comme un vieillard qui s’apprête à se coucher. Je regardai ma bécane. Sans béquille. Sans garde-boue. Sans couvre chaîne. Sans peau. Sans … La liste est longue et avec ce qui est déjà cité, on se fait une idée de ce que peut être mon vélo.

Je me retournai et regardai l’étoile Sandrine qui brillait au pied des marches de l’amphi. Puis, je regardai le tas de ferraille déposé contre le gros ventre du karité rabougris. Je maudis la pauvreté, ses parents, ses aïeux jusqu’à ses ancêtres. Puis, j’attrapai ma bécane et me dirigeai vers Sandrine.

Arrivé à sa hauteur, j’enfourchai mon cheval, puis, tapotant son unique et dure crinière, j’invitai mon amazone à monter dessus. Elle regarda fixement le fauteuil qu’on lui indiquait et la sentence tomba :

- Euh…, Pataarpanga !

- Ouiiiiiiiiii !

- Je préfère qu’on marche à pied. Il fait si bon vent et nous ferions un peu de sport.

- En effet, dis-je.

Je redescendis de vélo et attrapai l’énergumène par son mince cou. Je serrai fort. « Ah, si je pouvais l’étrangler ! » Mais le veinard avait le cou en fer !

Nous marchâmes. Discutâmes. Puis Sandrine me demanda :

- Où habites-tu ?

- Euh … à Dassasgho !

Traduction : J’habite à 10 kms de là et à pied, ça peut faire mal. Bon vent ou pas, sport ou footing, Sandrine devint immédiatement moins enthousiasmée. La preuve :

-Bon, Pataarpanga, je crois qu’il fait tard.

- Ha ?

- Et je pense que c’est mieux que…

- Ho ?

- … je connaisse chez toi une autre fois.

- Oui, tout à fait pas parfait !

- Han ?

- Oui, oui, je suis totalement parfait… euh… tout à fait !

- Tu m’accompagnes au goudron ? Je vais prendre un bus.

- Oui, oui, tout à fait !

Nous marchâmes donc vers le goudron. Mais nous n’arrivâmes pas jusque-là. Le saligaud est arrivé avec sa pétaradante. Même pas mieux que celle de Soulby. Mais il s’arrêta quand même.

- Hé, Sandrine ! Comment tu vas ? Je te dépose ?

- Oui, Saturnain ! Tu es un amour !

Et la voilà derrière le char du Saturnain qui ne savait même pas où  se trouvait la lune, a fortiori la planète saturne ! De là, elle me fit de la main un gros bisou à étouffer un éléphant.

- Bisou ! Bisou ! Pataar ! A demain et merci de m’avoir tant fait rire ! Byyyy !

Et voilà ! Elle est partie ! Et paf ffiiiiiiiiiii ! C’est le pneu arrière de mon vélo qui venait d’avoir l’heureuse idée de péter.

Et je dus me taper les 10 kms à pied. Voilà comment a commencé ma première journée au campus. Je l’avoue, c’est un vrai détergent, ce campus. Plus efficace  que n’importe lequel. Il venait de me nettoyer de toutes mes illusions de jeune lycéen fraîchement déclaré bachelier. Et ça ne faisait que

commencer…

 

Abdou ZOURE

 



26/10/2010
0 Poster un commentaire