Les Nouvelles de Zouré

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23- Sauvé par les toilettes !

Il ne manquait plus que ça ! Je me levai, me fouillai de haut en bas, de droite à gauche. Rien ! Toutes mes  fouilles, mes forages ne retrouvèrent pas les traces de ce foutu carré de papier ! Mais à côté, le surveillant commençait à s’énerver. Son pied droit dansait seul pendant le pied gauche restait immobile.

 

Les camarades aussi commençaient  à trouver notre conciliabule intéressant. Leurs regards se braquèrent sur nous. Tous ces facteurs ont contribué à créer un changement climatique dans mon estomac. Une inondation se déclara. Mon visage commença à transpirer. Mes longues nuits blanches de 2KPI défilèrent dans ma tête comme une armée lors d’une fête nationale. Et plus elles déambulaient, plus l’inondation se transformait en tsunami dans la cité de mes intestins. Je lançai un S.O.S suppliant au surveillant. Voyant que ce dernier ne voyait toujours rien, je me décidai à employer le bon vieil outil de nos ancêtres africains : ma bouche.

 

- Chef, si je ne vais pas aux toilettes maintenant, je crois que c’est le devoir qui n’aura  pas lieu !

Le gars me regarda de la tête au pied. Les grosses gouttes de sueur qui jouaient à la marelle sur mon visage ont dû le convaincre. Il fit « oui » de la tête. Je sprintai. Il me mit un monsieur à mes trousses. Ce dernier ne suivit pas mon cortège. Je compris pourquoi.

 

Lorsque je débouchai dans les toilettes, mes freins s’actionnèrent malgré eux. Le parfum des lieux, leur salubrité et les messieurs et dames qui y grouillaient ont de quoi faire marche arrière. Seul le machin où on fait la vidange (comprenez-moi !) gardait quelques traces de blancheur. Le carrelage s’était intimement marié à une drôle de boue où naviguaient gaillardement des régiments de trucs ondulant.

 

C’était comme si ces derniers se dandinaient au rythme du concert que donnaient les petits hélicoptères à gros yeux et aux ventres cerclés de vert et de noir.   

 

Sur les murs, des inscriptions, écrites au charbon et au crayon, jouaient à saute-mouton. Tenez, un échantillon : « Le boilo est doux dè ! » « Idiot ! depuis quand souffrance est douce ? Djou la ! » « Le régime de notre pays est vendu, corrompu, délétère, lâche ! » « Djou la ! Et c’est des chiottes que tu as trouvées pour t’exprimer ? Pauvre de toi ! » « Pauvre de toi toi-même ! » « Les intellectuels sont la plus grande malédiction de l’Afrique ! » « Toi tu n’es pas un intellectuel, peut-être !  Oiseau de mauvais augure ! »

 

Cet échantillon me fit changer de fréquences, une main collée aux fesses et l’autre bâillonnant mes narines. Mais la prochaine latrine ne fut guère meilleure. Je jetai un œil à droite, puis à gauche. Il n’y avait pas d’issue. Je me résignai. Le tsunami menaçait sérieusement.

 

Mon pantalon s’abaissa, je fléchis les jambes,  fermai les yeux et lâchai la commande ! Après une minute d’ahanements et de poussées, je remis mon pantalon. Les hélicoptères nains avaient entre-temps accéléré le rythme de leur bourdonnement.

 

Mais au moment où je m’abaissais, je vis….mon attestation d’inscription ! Elle était cavalièrement juchée sur un des monticules de mes… Je prononçai un mot qui ne pouvait pas tomber mieux à propos :

 

- Merde !

 

Que faire ? Que choisir ? Le redoublement ou la…merde ? Mais entre deux maux, le moindre peut faire l’affaire. Je m’accroupis et saisis un des bouts du papier et le tirai vers moi. Heureusement, seulement quelques petits points de la… étaient restés dessus. Je m’empressai de sortir des latrines, si on peut les appeler ainsi. Je sortis un mouchoir de poche et me fis un devoir de nettoyer vite fait les taches disgracieuses. Après quoi, je fourrai soigneusement le papier dans ma poche et me voici de retour dans la salle.

 

Dès que je m’assis, le surveillant grincheux revint à la charge. Je lui montrai mon attestation. Il devrait être vraiment amoureux de son job car, comme s’il avait des yeux d’octogénaire, il colla le papier à son nez pour lire les inscriptions. Mal lui en pris (enfin, ça dépend !). Le papier atterrit avec une allure déconcertante sur ma table pendant que le surveillant fronçait affreusement les narines. Il me regarda d’un œil torve, mais il mit la colle sur l’en-tête de ma feuille de composition. Il s’en alla.

 

Un ouf de soulagement et deux heures de réflexion et d’écriture plus tard, j’étais dehors et je discutais de mon incroyable aventure avec Soulby.

 

- Alors, tu comprends maintenant que si je gagne ma maîtrise en étant en première année, c’est moins parce que je ne suis pas intelligent que parce qu’il y a d’autres facteurs extérieurs.

 

- ça oui, dis-je.

 

- Imagine qu’à la majorité de tes devoirs, tu rencontres des imprévus de ce genre, tu rates proprement ta session ! Il y a des étudiants qui perdent des proches à la veille de leur composition. Penses-tu qu’ils auront l’esprit assez serein pour bien faire leur devoir ? Il y a des étudiants qui n’arrivent pas à se nourrir correctement. Penses-tu que ventre vide peut avoir une cervelle pour bien traiter un sujet ? Il y a de nombreux étudiants qui n’ont que les lampadaires publics comme éclairage pour bosser. Avec la poussière de notre pays et les bruits, sans compter les temps de froid, penses-tu qu’ils peuvent faire de bons rendements ? Il y a des étudiants qui s’engouffrent dans les « petits gombos », histoire de trouver de quoi payer leur loyer et leurs tickets de RU. Peut-on faire bonne chasse en poursuivant deux lièvres à la fois ? Ils sont nombreux, des facteurs de ce genre qui gênent les études des étudiants. Est-ce pour autant que ces derniers sont des nullards ? Non ! Alors, essayons de ne pas avoir des regards péjoratifs quand on dit d’un étudiant qu’il a eu sa maîtrise en restant toujours en première année !

 

- Ouais ! On a compris ! Mais dis-moi, tu n’aurais pas un petit ticket à me prêter ?

 

- Non. Mais il y a une affaire urgente qu’il faut qu’on règle !

 

- Laquelle ?


A suivre….


Abdou ZOURE



24/09/2011
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