Les Nouvelles de Zouré

Les Nouvelles de Zouré

3-Taxe de Développement pas commune

Taxe de développement … pas commune !

 

Quand je pus me relever, hébété, je vis Soulby empoigner  une des mailles de la longue chaîne d’étudiants affamés.

- Qu’est-ce qui t’a pris ? vociférait Soulby.

- Je suis venu avant lui ! beuglait l’autre.

- Et alors ?

- Alors, je dois manger avant lui. Et avant toi aussi ! Tu es venu au même moment que lui ! A bas l’intégration !

- Idiot ! Tu n’as jamais fait d’intégration, toi ?

- ….

- Jure sur le crâne de ton arrière-grand père, que tu respectes sans doute, que tu n’as jamais intégré un rang dans ce campus !

Celui qui m’avait envoyé essuyer mes fesses sur les cailloux qui papotent devant le « RU Bengué » semblait soudain ému par les larmes de dame hésitation. Et le laissant à son émotion, Soulby me « réintégra » au rang et la file poursuivit son cours. Le ventre du RU « Bengué » m’avala et j’en ressortis le ventre rebondi. Avec Soulby me tapotant dans le dos, hilare et réjoui. Je riais avec lui lorsque, soudain, ma mine se renfrogna. Le sourire devint une hideuse grimace qui signifiait la douleur, griffonnée sur mon visage par le pinceau de l’élancement qui me transperçait l’estomac. Je m’arrêtai. Soulby continuait. Il n’avait pas remarqué. Lorsqu’il se rendit compte que son gros éclat de rire ne trouvait plus personne à qui s’adresser, il fit demi-tour.

 

- Hé ! La mort te rend visite ? fut sa question à moi adressée.

- Pas encore. Mais je crois qu’elle s’est faite annoncer pour bientôt ! a été ma réponse.

- Alors, monte sur mon char et allons à l’infirmerie du campus décommander ce rendez-vous de mauvais goût !

Ainsi fut fait. Mais au lieu de prendre par le « six mètres » qui mène tout droit à l’université, Soulby bifurqua et prit gaillardement l’avenue Banbaguida avec sa P50 déglinguée et toussant comme une vieille sorcière atteinte d’une crise d’asthme. La rouille était sa nouvelle peinture. Je voulus me souvenir de la date à laquelle j’ai renouvelé mon vaccin contre le tétanos lorsque mon estomac bâillonna mon cerveau. Et Soulby s’arrêta brusquement au beau milieu de la chaussée. Acclamé par un concert de klaxons qui criaient comme de vieilles pintades qui ont découvert une vipère dans leur nid. Il descendit de la moto, si on peut appeler ainsi ce tas de ferraille,  posta au bord du macadam. Moi toujours dessus. Il se mit à la secouer. Mes « hé hé tu vas me tuer » l’arrêtèrent. Je sautai à terre, vite plié en deux par mes coliques. J’aperçus Soulby  ôter le bouchon du réservoir, puis coller son oreille et secouer encore l’assemblage de ferraille.

- Panne sèche ! fut son diagnostic.

Thérapie : Soulby ôta son oreille du réservoir d’essence pour y coller sa bouche. Ses joues se gonflèrent comme les soufflets d’une forge. Cela fait, le postérieur de la bécane s’en alla dire bonjour à l’entrelacs de fils et de câbles qui zèbrent le ciel de Ouaga et revint sur terre. Deux coups de pédales et me revoilà sur le postérieur du machin pétaradant.

- Juste pouvoir arriver au campus ! disait Soulby. Arrivé au campus, un pote me prêtera deux « togos » pour mon carburant.

- Tu veux dire deux francs…togolais ?

- Tu es vraiment un débarqué, toi ! Non, deux « togos » ça veut dire deux cent francs CFA !

J’étais en train d’essayer d’avaler le fil de cette explication quand un coup de sifflet  strident le coupa en deux. Net.

- Qu’est-ce qu’il me veut celui-là ? Je n’ai pas brûlé le feu que je sache ! maugréa Soulby.

Le « celui-là » en question était un policier impeccable dans sa tenue impeccable et attendant d’un pied ferme que Soulby s’arrête devant lui tout aussi impeccablement. Ce que celui-ci n’avait visiblement pas envie de faire. Mais le réservoir de sa moto pensait autrement. La vieille guimbarde s’arrêta pile poil devant le policier. La dernière goutte d’air mélangée de combustible venait d’être ingurgitée par l’estomac de fer. Soulby se tient tout droit devant le policier. Et moi, je stationnais comme un arc de cercle.

- Pièces de la moto, bref ordre du policier.

Soulby s’exécuta, la mine aussi froissée que la copie d’un étudiant qui vient de se rendre compte qu’il faisait hors sujet dans un examen de la toute dernière session de sa troisième et dernière année de redoublement.

- Tiens tiens, fit le policier. Monsieur Souleymane, où se trouve la taxe de développement communal ?

- Monsieur, je ne l’ai pas encore payée.

- Pourquoi ?

- Monsieur, je suis étudiant non boursier et sans FONER.

- Et alors ? Tu n’es pas citoyen ? Figures-toi que c’est parce que des gens ont payé leurs impôts qu’il y a de tes camarades qui peuvent avoir le FONER.

- Je suis d’accord, chef. Mais je n’ai pas d’argent. Je fais comment ? Là où je suis arrêté, je n’ai même pas de carburant dans mon réservoir. Je n’en ai pas non plus dans ma poche pour mettre dans mon réservoir. Je fais comment, chef ?

- Tu payes !

- Hein ?

- Et moi ?

Le policier et Soulby se retournèrent pour me regarder. J’avais toujours la forme d’un croissant lunaire. Le policier parla :

- Toi ?

 

A suivre !

 

Abdou Zouré



04/10/2010
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