Les Nouvelles de Zouré

Les Nouvelles de Zouré

27- Charmante soirée !

Ses cheveux hirsutes avaient disparu. Sa chemise, impeccablement repassée, était merveilleusement découpée par la frontière d’une ceinture qui ceignait la taille d’un pantalon dont les droits plis caressaient avec arrogance la noire brillance de beaux souliers. Lorsqu’il passa devant moi, son parfum emplit ma bouche ouverte que je refermai, pour aussitôt l’ouvrir afin de l’appeler.

Il revint à mon niveau.

- Vous m’avez appelé, monsieur ?

Son ton avait l’assurance qui brillait dans  ses yeux d’où avait disparu toute trace de supplication.

- Tu te souviens de moi ? lui demandai-je.

Il me regarda et fit mine de réfléchir.

- Non, je ne crois pas, finit-il par me dire.

- Pourtant, je vous ai donné un ticket de RU avant-hier devant le RU Bengué. Vous me disiez que vous n’aviez pas de « Lomé » ou de « Libreville », je ne sais plus quoi encore !

- Ah ! Je vois !

Il se pencha  à mon oreille.

- Tu sais, mon cher, la vie est tellement cruelle que chacun doit se débrouiller pour se chercher. Tu as été l’un des rares étudiants à m’avoir reconnu jusque-là. Mais si tu ne veux pas que je devienne ce que tu  as vu avant-hier pour de bon, alors, s’il te plaît, ne parle pas de ça à quelqu’un. Tu auras fait une bonne grâce et Dieu t’en récompensera au centuple. Pour commencer, tu pourrais valider ta session ! Bonne chance !

Après m’avoir tourneboulé ainsi, il s’en fut. J’y pensai. Mais quand le sujet de mon devoir vint, je n’y pensai plus. Et après le devoir, j’oubliai.

Je venais de finir ma session. Il fallait bien que je décompresse. Je bipai Sandrine. Je n’avais pas le choix. Elle m’envoya un SMS qu’elle m’attendait chez elle.  Je rentrai chez moi et entrepris de me faire beau. C’est alors que l’image de mon « frère du RU Bengué » me revint à l’esprit.

J’enviai sa chemise, son pantalon et ses souliers qui m’auraient instantanément rendu beau comme un prince indien. Mais à l’idée d’aller pleurnicher  devant des yeux moqueurs, je me rabrouai et enfilai ce que j’avais sous la main.

Je pris mon vélo et me voilà chez Sandrine. On sortit. On s’assit sur la margelle d’un pont de caniveau. On commanda : des cacahuètes et du bissap. On but en parlant de notre avenir.

- Que comptes-tu faire après ta maîtrise ?

- Chômeur !

Elle éclata de rire et je l’accompagnai.

- Plus sérieusement, relança-t-elle, quel travail veux-tu  faire ? Magistrat, avocat, notaire ? Quoi ?

- Tu  sais, je n’ai pas de goût précis. Je crois que je ferai n’importe quoi, pourvu que je trouve du travail !

Sandrine fit la moue.

- Moi, je suis plus exigeante ! Je veux être notaire !

- Ben, tu as le choix, toi ! Tu te marieras quand tu voudras, pendant que moi, je ne peux pas m’offrir ce luxe ! Il faut que je travaille et vite ! Il y a une ribambelle de petits frères qui me regardent depuis le village et mes parents placent en moi tous leurs espoirs !

- Je vois, dit Sandrine. On choisit un bœuf dans l’enclos qu’on engraisse en espérant que le fruit de sa vente permettra d’engraisser les autres membres du  troupeau !

- C’est ce qu’on appelle de l’investissement ! dis-je, amer.

- Mais que veux-tu ? Nos parents considèrent la procréation comme une grâce divine sur laquelle il ne ferait pas bien de cracher dessus !

- Et ils créent des problèmes aux premiers enfants !

Je pris la main de Sandrine.

- Tu sais, j’ai beaucoup souffert quand tu m’as quitté !

- Je ne t’ai pas quitté ! riposta Sandrine. C’est toi qui as voulu sortir avec cette petite lycéenne…

- Bon, nous n’allons pas remuer les plaies du passé, n’est-ce pas ? Comme tu sembles d’accord avec moi, et si on allait faire…euh…

Je me tus, gêné. Je ne savais pas jusqu’à présent comment il fallait s’y prendre avec les demoiselles.

- Faire quoi ? demanda Sandrine, un sourire taquin aux lèvres.

- …euh, tu vois, ça fait un bout de temps que je suis avec toi et je ne sais pas … je ne connais pas… je ne suis pas…

- Que tu es lourd comme un sac de mil qui tombe d’un hangar ! Je te comprends. Mais je pense qu’il n’est pas encore temps de faire le grand saut !

- Ah ! Mais comment allons-nous terminer cette soirée ?

- Eh ben, le plus simplement possible !

C’est-à-dire que je l’ai raccompagnée chez elle et j’ai repris le chemin de chez moi avec les traces d’un baiser furtif sur les lèvres.

Je soliloquai et battis des châteaux sur ce baiser, me berçant des crissements de la pédale de mon vélo que j’actionnais lentement. Avant d’arriver chez moi, je devais passer par une rue très sombre. Généralement, quand il est tard, je préférais éviter cette zone. Mais le baiser de Sandrine illuminait tout ce que je regardais. Je m’engageai  donc dans la rue en question.

On me toucha le dos. Je m’arrêtai. Me retournai. Et…


A suivre….


ZOURE



21/05/2012
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