Les Nouvelles de Zouré

Les Nouvelles de Zouré

21. On ne récolte pas forcément ce qu’on a … « boilo » (1) !

 

Je me réveillai quelques minutes plus tard. Ou plutôt, je ressuscitai.  Parce que je ne m’étais pas imaginé vivant après le passage de ce rouleau compresseur humain sur mon corps. Des visages se penchaient sur nous et des bouches demandaient si nous n’avions rien de cassé. Nous, parce que  Soulby planait toujours dans  les vapes où le colosse musclé et furieux l’avait envoyé d’un coup de poing.

 

Je me levai, en grimaçant. J’avais l’impression que mes lèvres avaient quadruplé de volume, tellement elles  pesaient et tiraient ma tête vers le bas.

 

Je réussis à me tenir debout. Soulby finit aussi par revenir de son voyage interstellaire. Comme d’un commun accord, nous ne répondîmes pas aux questions des badauds curieux et en  s’épaulant, nous rentrâmes chez Soulby.  Il chauffa de l’eau chaude et on tenta tant bien que mal d’atténuer la douleur de nos cranes et lèvres tuméfiés. Après ça, on dormit.

 

- Tu  sais quoi, me dit Soulby quand on se réveilla le lendemain.

- En tout cas, je sais désormais que je ne suivrai plus tes conseils suicidaires ! Nada !

- Ecoute, c’était juste un imprévu !

- Des imprévus de ce genre, peu pour moi ! Je me consacre maintenant à mes études !

- Mais, fit Soulby ironique, qu’est-ce que tu faisais jusque-là ? Cirer des chaussures, n’était-ce pas pour  avoir de quoi te payer des tickets de RU ? Les cours à domicile, c’était peut-être pour les beaux yeux des parents d’élèves ?  Et si tu as fait le détective privé, ce n’était pas pour faire des photocopies de ces cours que les profs n’ont plus le temps de nous dicter ? Et quand on a joué  dernièrement aux petits sapeurs pompiers qui éteignent des incendies particuliers, cela ne t’a pas permis de te payer une demi-rame de papier ? Et encore, c’est parce qu’on est tombé sur une « gnagni » (2) pauvre ! Sinon, tu aurais pu même te payer une vieille moto !

- Ouais ! Prochainement, on essayera de séduire une femme de ministre et je suis sûr qu’à  ce moment-là, ce ne sera plus dans ta chambre qu’on tiendra cette conversation, mais au cimetière ! Je te dis que je ne suis plus dans tes magouilles ! Et puis, je m’en vais chez moi ! Cela fait deux jours que je n’y suis plus allé et Dieu seul sait à quoi ça ressemble !

 

A une porcherie ! Voilà à quoi il ressemblait, mon « entrer-coucher » quand s’ouvrit sa porte, après m’être séparé de Soulby. J’entrepris donc une opération « salubrité ». Mais mon enthousiasme s’étiola lorsque dans ma savonnière, je ne découvris plus qu’un ridicule morceau de savon, le restant ayant été dévoré par des souris. Enfin, je ne sais pas trop. Ce qui est certain, je n’avais plus de savon.

 

Je sortis la tête basse pour aller voir Madou, le boutiquier. Après avoir fait des commentaires déplaisants sur mon œil au beurre noir et ma bouche un peu plus grosse que d’habitude, il me donna ce que je voulais.

 

La serpillière ayant survolé sur le tapis de nids d’autruche qui me servait de  plancher et épousseté mon unique chaise et ma bancale table, j’entrepris de mettre en place mon plan d’attaque pour prendre la forteresse de la première session qui devrait me conduire au DEUG I. « Le Congrès », c’est-à-dire la deuxième session, n’était pas dans mon programme. Je ne me sentais pas l’âme d’un député !

 

J’ai « boilo » donc. Je bus, j’ingurgitai, avalai, lampai, absorbai, ingérai, gobai recto-verso, à l’envers et à l’endroit, pendant une semaine. Je dus faire embargo sur les visites et les appels de Soulby. Mais pas sur le RU. Qui est fou ?

 

La session vint et je l’attrapai. J’y  régurgitai, vomis (pardon, mais c’est un antonyme de « boilo »), déversai à tout va ce que j’avais emmagasiné dans mon « ventre ». Avec cette mer  impeccable de « boilo » déversé, je me  suis dis que je serai étonné que le stylo rouge des professeurs y trouve quoi que soit à redire. J’étais donc confiant.

 

Je fanfaronnai devant Soulby. Celui-ci me regardait avec un œil morne.

 

J’attendis impatiemment les copies, certain de me délecter des jolies notes et des belles expressions qui courtiseront mes feuilles de composition. Des belles demoiselles du genre « bien », « appréciable », « étudiant studieux » ou, pourquoi pas, « excellent » !

 

Un jour, Soulby me dit ceci : « Ecoute petit, je sais que tu ne veux plus suivre mes conseils. Mais laisse-moi te dire qu’au  campus ici, mieux vaut être à la base d’un arbre que de grimper sur sa dernière branche ». Je lui demandai la signification de ce proverbe arboricole. Il me sortit encore un truc débile du genre « parce que celui qui est sur la base de l’arbre, quand il tombera, aura moins mal que celui qui est assis au faîte de l’arbre et qui devra jouer aux ascenseurs sans frein ni amortisseurs ».

 

Je me moquai de son proverbe. Mais j’avais oublié que Soulby était un  vieux loup du campus  et qu’il pouvait avoir raison sur pas mal de choses.

 

Ma première copie me fit l’effet d’un coup de poing glacial en plein figure. Cela n’eut rien à voir avec celui du rouleau compresseur humain. Il était écrit sur ma copie, 02/20. « Pourtant, mon « boilo » était propre ! » me suis-je exclamé tout haut sans m’en rendre compte. Les étudiants autour de moi, éclatèrent de rire.

 

Soulby me tapota l’épaule.

 

- Gaou, bienvenue à l’U.O ! Ta souffrance ne fait que commencer ! 

 

A suivre…

 

Par Abdou ZOURE

 

1- Argot. Veut dire apprendre ses cours ou ses leçons.

2- Femme qui paie des jeunes gens pour passer du « bon temps » avec eux.



10/08/2011
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