Les Nouvelles de Zouré

Les Nouvelles de Zouré

Une nuit sous un lit

UNE NUIT SOUS UN LIT

 

 

- Sophie, je suis très amoureux de toi.

- Moi aussi. Je t’adore !

- Jure-moi que tu ne me trahiras jamais !

- Je te le jure !

- Sur quoi ?

- Sur le crâne poli de mon ancêtre !

 

Et nous nous mîmes à nous faire des câlins et à soupirer comme des phoques. Sophie est la fille la plus géniale que j’ai jamais connue. Elle est belle, pas très studieuse au campus mais très amoureuse moi. Du moins c’est ce qu’elle dit à longueur de journée. Ce soir, nous sommes ensemble à Pissy, dans sa chambre, dans une cour commune propre. Son deux-pièces  est très joli. Le salon est meublé de fauteuils rembourrés et d’une large télévision à écran plat tandis que l’immensité de son lit dans la chambre m’a fait ouvrir des yeux de hibou le premier soir où nous y sommes enlacés. Pour moi, l’explication de tout ce luxe se trouvait au niveau du patrimoine des géniteurs de cette étudiante. Des géniteurs que j’ignore jusqu’au nom. Je me suis dit que ça viendra avec le temps.

Depuis un mois donc, Sophie et moi, nous vivons d’amour et d’eau de rose, car ma dulcinée « gérait ». Le premier jour où nos cœurs se sont télescopés, je lui ai dit que ma poche était maigrichonne mais que mon cœur était lourd d’elle. Elle m’a fermé la bouche avec un baiser et m’a dit de ne pas m’en faire. Et je ne m’en suis pas fait car Sophie a presque tout fait. Mes additions, mes tickets, mes multiples photocopies allaient de temps en temps rendre visite à son mignon porte-monnaie. Ma conscience dormait tranquillement car je ne lui ai rien demandé. C’est elle qui offrait et c’est si difficile de résister à son splendide sourire !

Mais revenons à cette soirée. Installés confortablement sur le lit, on n’entendit pas la porte du salon s’ouvrir. On s’apprêtait à adorer le dieu Eros lorsque…

- Bonsoir ici ! Où es-tu, mon lapin  doré ?

Cette voix qui venait du salon n’étant pas la mienne, je me redressai et demandai à ma « chérie » :

- Eh, mon nectar aromatisé, tu élèves des lapins dorés ?

- Mon lapin ! Viens ! Ton chasseur préféré est là ! Continua la voix.

- Ah tiens ! Ton salon est même est un lieu de safari ? Demandai-je encore.

 - Oui, mon chéri ! Un safari où tu seras le gibier si tu ne te caches pas dans un terrier ! Rétorqua l’adorable Sophie.

- Quel terrier ? Demandai-je, ne cherchant plus à comprendre quoi que ce soit !

- Sous le lit !

 Je voyais ça dans plein de film, mais si on m’avait dit que… Et me voilà rampant sous le lit comme un alligator démembré. La porte de la chambre s’ouvrit. Je vis des souliers luisants apparaître sur le seuil. Je devinai à son pas pesant que c’était un bedonnant qui doit être sûrement cravaté vu le pli impeccable de son pantalon.

- Comment va ma puce ?

Sa puce ? Donc Sophie…

- Ta puce ne va pas bien du tout !

- Pourquoi donc, ma carpe ?

« Carpe » ? Je pensai que cet homme est vraiment un rustre ! Est-ce un  nom affectueux, « carpe » ?

- Mes trois cents soldats m’ont rendu visite !

- Des soldats ? Quels soldats ?

- Ceux qui viennent chaque mois !

- Ah ! Je comprends ! Je reviens donc dans cinq jours, ma grenouille ! Gros bisou !

 Puis, soufflant et grognant comme un pachyderme, le « chasseur » s’en fut. Je sortis de sous le pieu. Je regardai Sophie, assise au bord du lit.

- Tout ce luxe, c’est lui ? Demandai-je.

Elle ne répondit pas.

- Bien. Je crois qu’il n’y a plus rien à dire.

- Comprend-moi ! Dit-elle d’une voix déchirante. Je n’ai pas l’aide du FONER. Je n’ai aucune famille ici. Mes parents au village sont très pauvres et ont oublié mon existence. Je n’ai pas le choix.

- Tu as plutôt fait le choix de la facilité et de l’immoralité.

- Tu ne peux pas me juger. Tu n’as pas dit non lorsque je te donnais mes billets.

- Je les acceptais parce que je les considérais comme des cadeaux. Ne cherche pas de faux-fuyants.

- Pense ce que tu veux. J’ai fait un choix et je l’assume. Mais sache que je t’aime. Tu ne  peux savoir à quel point !

 

Dilemme. J’aime une fille qui dit m’aimer mais qui couche avec un  vieux riche ventru pour assurer sa pitance. Seigneur miséricordieux, guidez-moi ! Je m’approchai du lit et enlaçai ma dulcinée.

- Chérie, j’ai dit que je t’aimais. Je t’aime toujours et je sais que c’est idiot de ma part. Mais tu ne peux pas continuer ainsi. Il faut que tu trouves autre chose.

- Quoi donc ? Tu sais que le pays est dur !

- Dur ou pas, ce n’est pas une raison pour lécher le derrière des hommes mariés. Ecoute, pour commencer,  je donne des cours à domicile et je te prête deux élèves.

- Et tu crois que ça suffira pour ma garde-robe mensuelle, ma coiffure hebdomadaire, mon essence journalière,  mon casse-croûte à toutes les deux heures, mon maquillage à toutes les cinq minutes, mon…

- Sophie, dans cette liste kilométrique, où se situent tes études ? Tout ce que tu viens de citer est-il indispensable à tes études ? Il faut que tu fasses un choix. Entre  poursuivre tes études pour un lendemain meilleur ou poursuivre la frime d’aujourd’hui pour avoir un lendemain de vieille cloche indésirable si tu ne finis pas entre-temps dans une tombe, enterrée par une pas gentille MST. Choisis. Entre notre amour, une vie saine, studieuse et vivre dans un mensonge éternel et sans avenir. Sache que je t’aime trop pour accepter de te partager avec un ventru, aussi riche soit-il. Si tu es d’accord, embrasse-moi. Si tu n’es pas d’accord…embrasse-moi quand même.

J’attendis un moment. Rien. Je sortis du lit et gagnai la porte.

- Chéri !

Je me retournai. Elle avait ouvert les bras, un sourire aux lèvres, brouillé par des rigoles de larmes.

- Viens.

 

 Abdou ZOURE



30/09/2010
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