Un Gourounsi à Ouaga !
A tous mes esclaves qui se reconnaîtront !
- Ouaga ! Tout le monde descend !
Il descendit le dernier du car pompeusement nommé « Air Réo ». S’il avait quatre yeux à ce moment-là, le pauvre Bationo aurait sans aucun doute été soulagé ! Il y avait tant à regarder ! Des maisons si hautes ! Des voitures, partout ! Et ces gens, innombrables.
- Même le marché de Réo n’en contient pas autant, se dit-il.
Un taximan s’approcha de lui.
- Jeune homme, où allez-vous ?
- A la part droit ! répond avec un large sourire, Bationo.
- Où ça ?
- Part droit !
Le taximan le regarda de la tête au pied et s’en fut. Bationo haussa les épaules et reprit sa contemplation de la gare. Il se mit à marcher et en sortit. Un autre taximan l’aborda et la même réponse fusa :
- Part droit !
Le taximan réfléchit un moment et finit par comprendre :
- Haaaan, tu vas à la Patte d’Oie ?
- Voilà !
Et les ... voilà sur la route de la Patte d’Oie ! Le visage de Bationo et la vitre du véhicule ne faisaient plus qu’un. Ses yeux tiraient sur tout ce qui bougeait. A un moment, il divorça de la vitre et dit :
- Tchié, les filles ici-là n’ont pas d’argent pour payer des habits ?
- Si, répond étonné le chauffeur.
- Mais pourquoi elles portent des habits déchirés partout partout et qui laissent voir leur derrière comme ça ?
Le taximan regarda le boubou en coton de Bationo jusqu’à ses cheveux noirs et crépus en passant par son sac en cuir.
- Tu viens d’où ?
- De Réo !
- Ah ! Je comprends !
Et le chauffeur de continuer à diriger son véhicule, sans plus rien dire. Puis, il demanda :
- Tu viens faire quoi ici ?
- Apporter un cadeau d’anniversaire à mon oncle.
- Ah bon ? Tu as quitté le village pour venir faire un cadeau ? Ton oncle en a de la chance ! Et ton cadeau, il est où ?
- Ici, répondit Bationo en tapotant sa gibecière.
Le taximan jeta de nouveau un regard sur le sac gonflé et continua sa conduite. Lorsqu’il arriva au feu tricolore de la pédiatrie Charles de Gaulle, le taximan s’arrêta.
- On est arrivé ?
Avant que le taximan ne puisse réagir, Bationo avait déjà ouvert sa portière et un cyclomoteur, qui arrivait juste derrière, y passa la tête, pendant que son engin continuait tranquillement sa route. Ce dernier provoqua quelques mètres plus loin d’innombrables jurons.
Comprenant qu’il venait de soulever une ruche pleine de problèmes, Bationo prit ses jambes au cou. Il détala et personne ne put ni l’arrêter ni le poursuivre. Il suivit ainsi le goudron et arriva au niveau du SIAO. Là, il s’enquit sur le chemin à suivre pour arriver à la « Part droit ». On le lui indiqua. Il marcha ainsi, veillant à ne plus mettre le pied sur le macadam.
Il marcha encore et parvint ainsi à l’échangeur de Ouaga 2000.
- Tchié ! Donc, ici-là, les gens-là construisent étage et puis ils roulent dessus ? Eh ! Quand je vais dire à ma belle Kantiono…
Il demanda de nouveau son chemin. On lui dit qu’il a deux choix : soit il emprunte un taxi, soit il emprunte le refuge. Après son aventure récente, Bationo préféra le second choix. Il prit donc le refuge. Heureux, il marchait, lorsqu’il vit son cousin Badiel qui passait sur la route. Il l’interpella. Celui-ci le vit et s’arrêta quelques mètres plus loin.
Bationo voulut le rejoindre. Le garde-fou en fer qui chemine au milieu du refuge le stoppa. Alors, il décida de passer par dessous. Mais Bationo était costaud et avait des épaules de lutteur. Ces dernières se bloquèrent donc aux barres de fer du garde-fou. Au même moment, arrivait en trombe un gros porteur.
Le jeune Gourounsi essaya de faire marche arrière. Il ne se dégagea que de quelques centimètres. Le gros porteur passa en trombe en trompetant, à quelques centimètres de la tête du jeune Gourounsi. Il sentit le vent secouer ses cheveux.
Lorsque le véhicule eut passé, Bationo put se dégager et décida qu’il était mieux d’enjamber le garde-fou. Quelques instants plus tard, il rejoignait son cousin Badiel, qui fulminait :
- Comment peut-on être aussi idiot ? Tu voulais te tuer ou bien ?
Puis, regardant la tête de Bationo, l’autre éclata de rire. Bationo ne comprenait pas. Il attendit donc que l’autre se calma avant de savoir.
- Tu es devenu chauve, depuis quand ?
Bationo passa la main sur son crâne et découvrit une énorme clairière qui ne s’y trouvait pas plus tôt. Quelques éclats de rire plus tard, Bationo était derrière son cousin sur la route de la Patte d’Oie. Ils trouvèrent la destination de Bationo : la maison de son oncle Bazyomo.
Ce dernier, un homme d’affaires, recevait d’importants clients à déjeuner ce jour-là. Et c’est au moment où on commençait à servir que Bationo entra, Badiel ayant fait demi-tour dès le portail. Le jeune homme entra dans la salle à manger et se mit à serrer à deux mains, les doigts des invités de son oncle. Ce dernier le fusilla du regard :
- Va attendre dans ta chambre. On parlera après.
- Mais non, voyons Bazyomo ! dit l’un des invités. Laisse-le partager notre repas.
Malgré lui, Bazyomo laissa Bationo s’assoir. Le repas commença. Chacun prit un couteau et une fourchette. Bationo se frotta les mains. On se servit avec une louche dans le plat principal. Bationo y plongea les doigts. On se limita à la viande des cuisses et ailes de poulet. Bationo les fit craquer entre ses dents et cura ces dernières à grand bruit de succion.
On passa au dessert. Banane. Bationo les dévora…avec la peau ! Coupe de glace au chocolat. Bationo rota bruyamment, se gratta le ventre et fit signe qu’il était … saturé ! Au moment donc où les convives dégustaient leur dessert, Bationo se leva brusquement :
- Ah ! Tonton, je suis venu te souhaiter joyeux anniversaire !
Bationo fourragea dans sa gibecière, sous le regard levé des invités qui avaient, soit une cuiller dans la bouche, soit une bouchée de chocolat dans la mâchoire ou alors une cuiller suspendue à mi-parcours entre la coupe et la bouche.
- Voici mon cadeau !
- Ooooh !
Bazyomo, la bouche ouverte, les yeux grands ouverts, hébétés, regardaient les yeux menaçants et les blancs crocs qui le dévisageaient.
- La tête du plus beau chien de Réo !
ZOURE