Les Nouvelles de Zouré

Les Nouvelles de Zouré

Sinistré deux fois

                                                 NOUVELLE

                                      Sinistré deux fois !

Je savais que les bateaux, les pirogues et les canards pouvaient nager. Mais des briques ? Pourtant, ce mardi matin-là, mon « entré-coucher » a  ressemblé fort à un hors-bord !  Comment ? Eh bien, c’est simple. J’étais en plein « boilo » ce mardi matin-là depuis 2h parce que j’avais une partielle qui débutait à 8h au campus. La chaleur m’empêchait de « boire » correctement mon cours et les moustiques animaient un orchestre qui vrombissait à mes oreilles et me faisait asséner de grandes claques à sur tout le corps. Donc à 4h, lorsque la pluie commença à matraquer de plein fouet le toit de ma bâtisse en banco pointée en plein cœur de Dapoya, je poussai un gros soupir de soulagement et ma bouche s’élargit d’un sourire. Même si je m’amusais à feinter, comme Lionel Messi, les gouttes d’eau qui coulaient de mon toit troué. Si je savais !

D’abord, l’atmosphère se rafraîchit et le « boilo » coula à flot pour s’engouffrer dans ma boîte crânienne. Je commençais déjà à penser au devoir magistral que j’allais faire avec tout ce « boilo » qui clapotait dans ma tête. Mais ma joie fut de courte durée car la pluie commençait à devenir un peu trop bavarde et faisait mine maintenant de faire un tête-à-queue à mon « boilo », qui atteignait de moins en moins ma cervelle. Finalement, je cognai avec rage la table qui se renversa, envoyant les feuillets de mon cours valser aux quatre coins de ma chambre exiguë.  C’est en me courbant pour les ramasser qu’une de mes sandales « tapète » vint me cogner la main. Je levai la tête vers la porte et je vis une visiteuse pas du tout agréable : une trombe d’eau s’engouffrait et s’installait sans aucune gène dans ma chambre. Je me redressai et prononçai la phrase la plus idiote de ma vie :

- Hé vous ! Qui vous a dit d’entrer ?

N’obtenant évidemment d’autre réponse que le clapotement de l’inopportune invitée, j’empoignai un seau, décidé à la vider de chez moi, au propre comme au figuré. Alors j’ouvris la porte et…un mur d’eau se jeta fougueusement dans mes bras, comme une femme qui a fait 30 ans  sans voir son amant qu’elle aime à la folie ! Le choc m’emporta de l’autre côté de la maison et me fit embrasser de dos le mur, qui se troua…Alors, j’eus l’impression d’être plongé dans une piscine…boueuse. Je barbotai, aveuglé et lorsque je pus me relever, je constatai qu’il faisait jour et que j’étais au milieu… d’un fleuve ! L’eau mugissait autour de moi, des voix criaient… Je regardai vers ma maison et je la vis qui commençait à … voguer comme le Titanic. N’en croyant pas mes yeux, je les fermai et les rouvrit : ma maison naviguait toujours, escortée par mes feuilles de cours, mon sac, mon assiette et mes souliers
troués et éculés ! Une trombe d’eau me gifla et me fit revenir sur terre. Et me voilà à la poursuite de ma maison. Je la rattrapai, récupérai mon sac, un de mes souliers et mon assiette. Le reste – en fait rien – disparut  avec le drôle de maison-bateau, qui avait enfin décidé de faire naufrage !

*
*  *
Trois heures plus tard, je regardais ma maison qui n’était plus que comme une pâte prête à servir à faire des galettes. Mais elle s’était déplacée de juste quelques centimètres ! La brutalité des événements m’avait fait avoir des hallucinations. Mais ce que j’avais devant et autour de moi ne relevait pas d’une hallucination. Tout n’était que désolation et pleurs. Il y  avait des gens qui se dirigeaient vers l’amont de la ville, où il semble que tout serait plus sec. Pendant que d’autres s’asseyaient dans la boue et l’eau, hébétés, totalement dépassés par ce qui leur arrivait.  Bon, moi, je suis revenu sur terre, enfin dans l’eau. J’avais pu sauver mon sac et mon stylo était resté fermement accroché dans le creux de mon oreille où je le mettais toujours. Donc, tous mes bagages sont là. Ce qui était jadis une maison appartenait à un bailleur, qui était là chaque 30 du mois sans une seconde de  moins,
mais qui devenait invisible lorsque le toit de la bicoque pleurait comme une madeleine. Rien donc ne me liait à la maison, même pas un contrat de bail ! Alors, je pouvais partir pour ne plus revenir. Car la maison de ma copine était là.  J’entrepris donc de me diriger vers le quartier de ma copine…comme un crocodile. Parlant justement de crocodile, j’entendis un bonhomme qui criait :

- Attention ! Il paraît que les crocodiles de Bangr-Weogo viennent vers ici !

Ceux-là, ils n’avaient rien d’autre à faire que de venir terroriser les pauvres  gens ? Je songeai à grimper sur un arbre et à attendre que les eaux baissent. Mais dès que je vis cette vieille qui risquait de s’envoler en voyage de noces avec les eaux, je lui portai secours et elle devint instantanément ma mère. Nous décidâmes de faire chemin ensemble. Le ciel, lui, ne cessait de verser de fraîches larmes, comme s’il avait perdu son arrière-grand-père, forçant tout le monde à pleurer avec lui. Moi et ma nouvelle mère, on pataugeait, elle son baluchon sur la tête et moi mon sac et mon assiette  à bout de bras, trempés comme des poussins de pintade. Je lui demandai si elle n’avait pas de famille. Elle me répondit que sa maison était sous un pont  et que sa famille, les passants et les badauds, n’avait pas encore fini de s’occuper d’elle-même. Ma mère toute neuve était donc une mendiante. Nous continuâmes notre …
chemin

Brusquement, mes yeux s’agrandirent de stupeur. Devant moi, ma dulcinée, débraillée, échevelée et trempée jusqu’aux os pataugeait vers nous, son sac d’étudiante sur le crâne. Je n’eus pas le loisir de me cacher qu’elle  m’aperçut. Souriant de l’oreille gauche à l’oreille droite, elle s’empressa de nous rejoindre et se jeta dans mes bras en criant de joie :

- Oh, mon chéri, tu es un ange ! Tu as su que j’étais sinistrée et tu accourais vers moi pour m’accueillir dans ta bicoque, qui doit être toute sèche ! Tu es un grand chevalier ! Bisou, bisou !
- Han ! fis-je. Mais…
- Ha, tu t’inquiètes pour mes parents ? Oh, ne t’en fais pas ! Mon oncle les a déjà accueillis dans sa maison qui n’a pas été touchée ! Tu connais la solidarité légendaire de nos compatriotes !
- Mais, pourquoi n’es- tu  pas restée là-bas ?
- Mon oncle a accueilli deux autres familles sinistrées et nous sommes comme deux dinosaures dans une coquille de margouillat ! Alors, j’ai pensé à ta maison. Même si tu la partages avec les cafards et les araignées, c’est encore plus spacieux ! Donc, on peut rebrousser chemin !
- Ce n’est pas possible, chérie.
- Et pourquoi ?
- Euh…
- Ne me dis pas que…

Je n’eus pas le temps de répondre qu’elle fit demi-tour, en lançant par-dessus son épaule :

- Tu es vraiment un infidèle et un incapable ! C’est fini entre nous ! Adieu !

J’écarquillai des yeux incrédules, puis la rattrapai :

- Voyons, chérie,  tu ne vas pas me dire que tu es jalouse de cette vieille ! Je jure sur le crâne de mon ancêtre qu’il n’y a rien entre nous ! Je l’ai…
-  Tu peux retourner vivre avec elle.
- Elles ? L’inondation, ma maison en bouillie  ou la vieille ?
- A toi de voir...

 

Abdou ZOURE



30/09/2010
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