Si tu n'es pas rusé
J'étais en train d'essayer de redonner à ma paire de chaussures une mine moins sombre que celle qu'elle s'obstinait à me montrer lorsqu'on frappa à ma porte. A mon "oui" répondit le visage souriant de mon cousin. Il venait de débarquer du village avec le BAC dans sa sacoche. Il s'est à peine inscrit à l'Université qu'on l'a orienté en Droit. Il attend maintenant la rentrée qui se fait prier.
-Salut cous, comment va ? Assieds-toi.
Il s'assit.
-Que me vaut l'honneur de ta charmante visite ?
- En fait, cous, comme je viens d'avoir le BAC et que je ne connais pas bien les rouages du campus, je suis venu prendre des conseils avec toi. Surtout pour ne pas y rester trop longtemps. Comme tu as fait de vieux os ici…
Je ris.
- De vieux os ? Non, n'exagère pas ! Je suis juste en première année...
Mon cousin ouvrit des yeux ronds comme deux "gonré" (c'est un plat moaga et même les samo le savent) dans un plateau du RU (En rappel, restaurant universitaire).
- En première année ? Mais cela fait maintenant trois ans que tu t'es inscrit en première année à l'université ! Logiquement, tu devrais être en troisième année à présent. Tu as donc redoublé ?
Je ris encore.
- Cher cousin, bienvenu au club ! C'est l'un des traits particuliers de notre université. Ailleurs, certes, tu prends neuf mois pour finir une promotion. Mais ici, on met pour cela deux ans, voire trois si ta bonne étoile est noire comme ta face de Nègre. C'est comme ça !
"Tu ne dois donc pas faire le malin sur ton camarade que tu as laissé en classe de seconde dans ton lycée. Sinon, tu risques de le voir finir son cursus secondaire et te rejoindre ici, toujours assis en première année. Et comme tu es venu prendre des conseils, alors prend ceci comme la première leçon : ne jamais se moquer de celui qui se noie au lycée quand on n'a pas soi-même franchi le barrage du campus. Compris ?"
Mon cousin secoua la tête.
- Bien. Deuxième leçon. Aime celui qui te fait des grimaces mais fais attention à celui qui te sourie!
- Hé ! Comment ça ?
- Je veux parler de tes futurs professeurs. Ils ne te seront pas sympathiques, ça tu peux en être dès à présent sûr. Dès le début, ils te diront qu'ils t'attendront au virage.
"Le virage, ce sont les deux sessions d'évaluations. Ensuite, ils dicteront leurs cours sans prendre le temps d'expliquer. Tant pis si tu ne comprends rien. Enfin, aux évaluations, gare à toi si tu débordes le nombre de lignes qu'ils t'ont dit de ne pas dépasser en répondant aux questions sur ta feuille d'examen. La sanction sera plus sévère que si tu ne trouvais pas les réponses aux questions.
"Mais je l'ai dit, ils ne sont pas du tout méchants et ne crois surtout pas qu'ils te détestent. Qui châtie bien... Hors des salles de cours et le stylo rouge mis de côté, tu ne trouveras pas de meilleurs amis. La preuve, le 31 décembre, j'ai dansé du "takiborsé" avec un de mes profs qui m'a pourtant collé, à un devoir, un zéro rond comme la bouche d'un gourounsi qui vient de voir miss monde à la télé ! Ils ne sont donc pas méchants. Mais méfie-toi du "boilo". Tu verras. Le "boilo"...Hé, pourquoi me regardes-tu avec ces yeux ? Ah, le "boilo" ? Hé bien, le "boilo" c'est ce que tes profs vont te faire gribouiller sur des milliers de bouts de papier et que tu seras ensuite obligé de « boire » pour avoir un diplôme. Je disais donc de te méfier du sourire de monsieur "boilo".
"Il te fera de si grands et beaux sourires que tu le boiras sans grande difficulté et tu croiras que tous ces étudiants qui redoublent et même ceux qui vont en session de rattrapage sont des imbéciles et des paresseux. Mais fais bien attention. Au campus, il ne faut pas être seulement intelligent. Il faut aussi être rusé. Sinon..."
- Sinon ? Demanda mon cousin qui s'était levé sans le savoir.
- Sinon tes arrières petits-fils te trouveront au campus !
Par A. ZOURE