Les Nouvelles de Zouré

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Nouvelle: Je t’ai tant aimée

coucher de soleil.jpgAssis sur le banc en béton, Dogtan regarda les derniers rayons du soleil effleurer le sommet des amphithéâtres du campus. Un coucher de soleil à la fois beau et triste. Ses yeux se baissèrent sur son téléphone.  Il prit une inspiration et commença :

 

« Je t’ai tant aimée. Je t’ai tellement aimée. A tel point que j’ai eu peur un temps pour ma santé mentale. J’ai compris pourquoi certains hommes disaient être capables d’aller sur la lune pour arracher le sourire à celle qu’ils aiment.
J’étais prêt à aller à pied sur la planète Mars. Si c’était le prix à payer pour que tu montres la belle rangée de colombes blanches qui te sert de dents. Mais ce n’est pas la peine d’insister. Tu es déjà au courant de cela. Tu le sais. Pour mon malheur.
Ce message est le dernier que je t’envoie via cet outil de messagerie inventé par les Blancs. Un lieu où nos amours se sont souvent rencontrés. Où ils ont été les prolongements de tant d’ébats éreintants. Où j’ai tant de fois exposé les pirouettes de mon cœur et les halètements de mon corps. Où j’ai souvent espéré, un mot, des gestes de tendresse de ta part.
Je savais que tu ne m’aimais pas. En tout cas, pas sur la même longueur d’onde que les pulsations émises par ce triangle en 3D que forme mon cœur. Je savais que tu sortais avec d’autres hommes. Cela me faisait mal, mais n’altérait pas mon amour et me cachait l’amour d’une autre.
Mais ce que j’ai vu, aujourd’hui, m’a fait mal. Je ne t’aurais jamais cru capable de cela, même si je sais que tu es un être humain, « divers et ondoyant ».
Aujourd’hui, je suis venu chez toi. Sans prévenir. Pour te faire une surprise. La surprise, c’est moi qui l’ai eue. Lorsque je suis entré dans la cour commune, j’ai vu cette belle moto. Je la connaissais très-bien. Parce que je la côtoyais presque tous les jours. Je suis sûr que tu la connais aussi, puisque je venais souvent t’emporter avec pour nos rares sorties ensemble.
Mais même si cet engin connaissait chez toi, il ne pouvait venir de lui-même. Et je me demandais bien qui pouvait l’avoir envoyée. Avait-elle été volée ? C’est cette idée qui s’ancra dans ma tête. Ma première initiative, c’était de t’avertir. T’avertir pour qu’on puisse avertir la police.
Je me dirigeai donc vers ta porte. Elle était ouverte. Je n’ai pas frappé. J’aurais peut-être dû. Je vis d’abord les chaussures que je connaissais si bien. Mes yeux virent le pantalon que je connaissais si bien. Et j’entendis la voix, cette voix que je connaissais si bien. Cette voix haletante, caressante, qui éveillait en toi des sensations qui te faisaient lui répondre par des gémissements. J’entrai au moment où tu atteignais la cime du Ténakourou et où tu plantais le drapeau, en prononçant son nom : « Frédéric ! »
Je suis resté pétrifié. Avais-je mal ? Etais-je en train de mourir ? Je ne saurais le dire. Je ne sus cependant pas quand est-ce que je me retrouvai au milieu de la circulation, sur ma moto.
Pourquoi parmi tous ces hommes, a-t-il fallu que tu mettes le grappin sur mon frère, mon confident, mon meilleur ami, mon frère, celui avec qui je bois du thé chaque jour, chaque semaine, chaque mois, chaque année, depuis tant d’années ? Un frère, un confident, un ami que tu connaissais bien puisque je te l’ai présenté ?
Si tu trouves ton bonheur et ton plaisir avec lui, je te souhaite d’être heureuse.  Tout comme sa femme et ses cinq enfants qui l’attendent à la maison. Quant à moi, j’ai décidé de cesser de souffrir ».

 

Une larme vint s’écraser sur l’écran du téléphone. Exactement sur la touche « envoyer ». Dogtan soupira. Une voix de femme résonna dans son dos. Son doigt appuya sur la goutte de larme. L’autre essuya ses yeux qui se retournèrent vers la voix.

 

- Tu m’as appelée ? dit celle-ci.

- Oui. Oui, je suis prêt à te faire cesser de souffrir.

 

Il se leva, prit la main que la jeune fille tenait près de son corps et ils s’en allèrent. Le soleil venait de finir de se coucher.

 

Abdou ZOURE



23/08/2016
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