Les Nouvelles de Zouré

Les Nouvelles de Zouré

Mon ventre ou mon vélo ?

 

Mon vélo ou mon ventre ?

 

 

 

L’alarme de mon nokia 1100 alias « non loti » me vrilla les oreilles à 5 heures. Je dégringolai de ma natte et à l’aide de la torche  dudit « non loti »,  j’ouvris ma porte qui trembla comme un squelette affamé. Je pris un seau plein d’eau, passai un moment au W.C. Puis je revins dans ma chambre, adressai mes éternelles et semblables lettres de détresse à Dieu qui semble avoir un retard dans le suivi de son courrier. Je pris ensuite ma chemise et mon pantalon sous mon excellent blanchisseur (c’est-à-dire le coussin qui me sert d’oreiller). Et l’instant d’après, me voilà installé dans ma Cadillac.

 

Fiiiiinnn  faaaannnn ! Faaaannnnn  fiiiiinnnnn ! Ce  n’est  que le  gémissement  de mon  vélo … ou si vous voulez, de ma  Cadillac !  Il se  lamentait  chaque  fois  que  les  pédales  faisaient  un  tour  complet. Fatigue  et vétusté étaient son domaine  de  définition.

 

Il  était  remarquable, ce vélo ! Guidons  sans  poignets ou  presque, selle  sans  amortisseurs, trouée, penchée  de  côté, avec  un  drôle  de  fer  qui  pointait  comme un os  dans  une  fracture  ouverte. Charpente  soudée  et  re-soudée  à  mille  endroits, peinture  écaillée, pneus  aussi  lisses  que  le  dos  d’un  silure. Et  le tout  vibrant, tanguant, criant et  coassant tel  un  robot  désarticulé  et  non  lubrifié.

 

Chaque fois que j’empruntais l’entrelacs de voies labyrinthiques  qui va de Tampoy à Zogona en passant par Dapoya et Paspanga, les gens se retournaient sur mon passage, l’air moqueurs. Mais je m’en contrebalance. Le bus c’est beau, c’est sûr. Trois cents francs par jour ou  cinq mille francs par mois, c’est abordable, très social. Mais malheureusement, mon loyer coûte huit mille francs et  mes tickets de RU me prennent six mille francs par mois. Soit un total de douze mille francs. Je n’inclus pas ma santé parce que « Wend san saaké…» (Dieu est grand !) et mes vêtements parce que je les utilise jusqu’à péremption totale, c’est-à-dire dix ans ! Quant à mes documents et manuels scolaires… Alors, où vais-je trouver cinq mille francs lorsque je sais que sur les 150 000 francs annuels du FONER, je dois tout faire pour ne dépenser  que 16 000  francs par mois sur  9 mois? Et surtout, je n’ai pas de « parent » à Ouaga ! Alors, chers gens, permettez que je pédale ma ferraille !

 

Je tâtai ma poche pour vérifier si les 1500 francs que j’y ai fourrés sont toujours là. Je dois faire la provision de tickets car  il n’en reste plus. Lorsque ma main sentit le billet, mon cœur bondit dans ma poitrine : la tranche suivante du FONER tombe dans cinq jours ! Il était temps car, comme toujours, les 1500 francs étaient mes derniers jetons. J’avais presque réussi le pari de ne contracter aucun crédit pendant ce trimestre. Pour une fois, cette sangsue de Madou le boutiquier ne m’attendra pas de pied ferme devant ma porte pour me réclamer son crédit ! Enfin…presque.

 

C’est à ce moment que j’entendis un sifflement.  Je baissai les yeux : le pneu avant  de ma Cadillac était aussi plat qu’un crapaud qui est allé se promener sous les pneus d’une remorque ! Je pestai comme un charretier et soumis mon vélo au bistouri d’un mécano encore mal réveillé. Mes cents francs restèrent dans sa poche crasseuse. Ce qui réduisait mon compte à 1 400 francs.

 

Je croyais mes malheurs finis pour la journée. Mais arrivé sur le pont du barrage de Tanghin, sifflement. Encore le pneu avant. Je fis le deuil de cents autres francs.   Puis plus loin, l’emmerdant  pneu émit encore son damné sifflement. Je demandai à un autre mécano les raisons qui ont transformé le pneu  de mon vélo en serpent siffleur. Et le damné mécano eut la désagréable idée de me dire que mon damné pneu  est diablement élimé et usé jusqu’aux fibres. Voilà pourquoi il s’est mis à jouer de la flûte. Il fallait donc le changer.

 

Je fusillai du regard le savant mécano et lui demandai s’il n’y avait pas une alternative. Il me proposa de doubler de l’intérieur mon pneu avec un autre pneu usagé. A deux cents francs. Mes yeux virent rouge. Mais je me dis que tout compte fait, deux cents francs par rapport au prix d’un pneu neuf  ou même d’occasion, c’était mieux que pire. Ma souche de dix tickets était sauve.

 

Mon mécano fit son travail avec entrain, mordant à belles dents sa lèvre inférieure. A six heures trente minutes, il avait fini. Je lui remis son dû. Et j’enfourchai mon tas de ferraille. Je remarquai qu’après le traitement de choc du mécano, le pneu ne rebondissait plus dans les nids d’autruche. Il s’abattait dedans comme une roche, mettant à rude épreuve mes pauvres fesses. La pauvreté quand elle nous tient…

 

Je négociai le virage du Boulevard Charles de Gaulle, juste après l’immaculé Premier ministère. Puis je m’arrêtai au feu tricolore suivant. Je n’étais pas seul à regarder ce feu. Il y avait d’autres étudiants avec leur Cadillac, des fonctionnaires avec leurs pétaradantes et aussi une mendiante avec sa gamelle, ainsi qu’un chien qui somnolait près de la mendiante.

 

C’est alors que j’entendis un « paaf » tonitruant. Le chien déguerpit, une queue entre les pattes. La mendiante laissa échapper sa gamelle. Et un monsieur brûla le  feu,  croyant avoir entendu le coup d’envoi d’un rallye de motos. Toutes les têtes qui regardaient le feu tricolore s’en détournèrent pour me dévisager comme si j’avais soudain des oreilles d’éléphants à la place des yeux.

 

Je baissai la tête vers le pneu avant de ma Cadillac : il était largement déchiré  sur la moitié de son pourtour et ouvert comme le pain d’un sandwich prêt à recevoir de la viande hachée …Imaginez ma tête.

 

 

 

 

 

                                                                                  ABDOU ZOURE



16/10/2010
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