Les Nouvelles de Zouré

Les Nouvelles de Zouré

Mon beau-frère policier

NOUVELLE

 

Mon beau-frère policier

 

« On veut des amphis ! On veut des chaises ! Les briques nous mangent les fesses ! »

Dans cette marée d’étudiants en marche vers la présidence de l’Université de Ouagadougou, j’étais assez minuscule, mais je m’égosillais autant que je pouvais. Cette grève est fondée. Mes fesses endolories et mes yeux rougis peuvent en témoigner devant n’importe quel tribunal !

D’abord mes yeux. Un  médecin avait écrit quelque part que, pour ne pas disjoncter, l’organisme humain devrait jouir de 5 heures minimales de sommeil par nuit. Mais moi, mon organisme bossait quotidiennement jusqu’à minuit, heure à laquelle je me jetais sur mon matelas qui était aussi plat et troué que le sol sur lequel il est posé. Mais à trois heures du matin, mon réveil se mettait à s’égosiller, m’obligeant à me lever afin de pouvoir arriver au campus à 4 heures et d’avoir un bout de chaise pour poser mes fesses d’étudiant en première année. Conséquence, mes yeux ne pouvaient pas ne pas rougir comme des torches enflammées.

 Cependant et généralement, j’abattais lourdement ma paume sur le pauvre réveil qui se taisait aussitôt. Pour me punir, il me laissait dormir jusqu’à 6 heures du matin. Et là, à l’amphi, je dois poser mes fesses sur  une brique de ciment dure comme un estomac qui a fait trois semaines sans aller au WC.

Toutes ces angoisses parce que 3 000 étudiants veulent crécher dans un amphi de 1 000 places. Donc, je suis gréviste aujourd’hui et même demain ! Voilà pourquoi nous crions, nous vociférons notre ras le bol en nous dirigeant vaillamment, le menton fièrement dressé et le poing rageusement levé, vers la présidence de l’université. Malheureusement pour nous, comme les charognes attirent toujours et  immanquablement les vautours, nous vîmes bientôt fondre sur notre marche  une armada de bonhommes noirs, habillés de noir, casqués et cagoulés comme des extraterrestres et armés jusqu’aux oreilles.

Nous voulûmes résister. Mais depuis quand une fourmi a-t-elle avalé un coq ? Nos cailloux ricochant sur les bonhommes comme sur du béton et les bombes lacrymogènes nous faisant pleurer comme les geysers du rond point de la Patte d’Oie, ce fut par conséquent la débandade dans nos rangs. Un tournoi de gambades, de cabrioles, de bonds et de saute murailles s’installa sur toute l’étendue du campus et  ses alentours. Il ne manquait que les arbitres.

Moi, je n’étais pas en reste. Je suppliais mes jambes de ne pas se montrer ingrates car la veille au soir je ne les avais pas oubliées lorsque je dévorais mon plat de « benga » au R.U Babanguida. Mais j’eus à peine franchi le canal qui traversait de part en part l’université qu’un de ces bonhommes en noir me prit en chasse. J’eus beau mettre le turbo, le gars ne me lâchait pas d’une semelle. Qu’est-ce que je lui  ai fait à celui-là pour qu’il m’en veuille à ce point ? En tout cas, il me talonnait toujours et nous traversâmes  en trombe le boulevard Charles de Gaule, sous les yeux ahuris des usagers.

Soudain, j’eus une idée. Peut-être que si je m’engouffrais dans  une des toilettes fort odorantes du campus, j’aurais la vie sauve. J’effectuai donc un virage brutal de dix degrés et sprintai comme un Ethiopien  vers les bâtiments du campus.

Mon poursuivant, surpris et  voulant effectuer la même manœuvre compliquée, dérapa et se retrouva assis brutalement sur les deux fesses. Furieux et jurant, il se releva et se lança de plus belle à mes trousses. Moi, je fonçais droit sur l’amphi belge, juste à côté de l’UFR/SJP.  J’avais presque atteint mon but lorsque le salaud eut la merveilleuse et horrible idée de lancer sa lourde matraque entre mes jambes. Le croc-en-jambe réussit si parfaitement que, emporté par mon élan, j’amorçai un vol plané  comme une fusée nord-coréenne  pour finalement m’exploser (enfin presque) le crâne contre le mur d’une des toilettes les plus terriblement parfumées du campus. Aussitôt, une fulgurante douleur irradia de ma jambe gauche. A moitié groggy, j’y jetai un coup d’œil et l’angle bizarre qu’elle avait adopté ne me fit pas douter un instant qu’elle était cassée.

Pendant ce temps, le gus cagoulé arrivait sur moi, soufflant comme un hippopotame qui souffre de ballonnement. Arrivé, il enleva son casque et sa cagoule. Lorsque nos yeux se rencontrèrent, un ange passa tandis qu’un coup de tonnerre fracassa l’air. Le bonhomme arrêté devant moi, qui m’avait traqué comme un lapin et qui m’avait lapidé comme une souris malpropre, me cassant une jambe, n’était que le salaud qui a épousé, il y a deux jours, ma soeur. Ni plus ni moins.

 

Abdou ZOURE



30/09/2010
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