Les Nouvelles de Zouré

Les Nouvelles de Zouré

Loin des yeux, près des narines !


- Jure-moi que tu me resteras aussi fidèle qu’un WC  l’est à son odeur ! me demanda-t-elle.

- Euh, fis-je, je le jure ! Tu sais, j’ai pleuré toute la nuit, pensant que tu m’oublieras dès que tu auras mis les pieds sur la terre du Général De Gaulle !

- Tu  as pensé ça ? Oh, mon chou !

 

Et elle m’embrassa dans le hall de l’aéroport. Devant tous ces yeux. Lorsqu’elle me lâcha, je toussai, bien que le rhume ne connaisse pas mon identité.

 

- Je ne t’oublierai jamais. Je te le promets. Et toi aussi. Je serai tout le temps avec toi, le temps de ces trois mois de vacances.

 

Elle m’embrassa encore. Même si je ne rougis pas, je suis sûr que mon teint noir a augmenté de densité ! Enfin, Judith embarqua. Bientôt, l’avion s’envola vers la terre de « nos ancêtres les Gaulois ». Elle est partie. Fini, cette belle histoire d’amour.

 

Judith étais en classe de 3e et moi, en 2nde dans le même lycée. Voilà comment on s’est connu.  J’étais en train de refaire le plein de l’intestin d’un des pneus de mon vélo, lorsque mon dos se transforma en échine d’âne : Judith était juchée dessus, après avoir fait du mur d’enceinte de notre lycée, un mouton. Il y avait de cela une année.

 

La foudre est tombée sur nous et n’a pas hésité à briser les barrières sociales qui existaient entre Judith, la fille de milliardaire et moi, le fils de paysan. Ses parents ont largement souri lorsqu’elle me les a présentés. Et depuis, en parfaits tisserands que nous sommes, nous tissons un parfait amour.

 

Mais Judith venait de décoller pour la France où une tante l’a invitée pour les vacances. J’en ai vu des cons comme moi qui ont ouvert la bouche, attendant que la dulcinée qui a décollé revienne. Mais ont fini par fermer leur mangeoire sur la désillusion. Alors, je suis allé la veille voir Djinnaaba.

 

 Djinaaba était un grand féticheur que m’avait conseillé un camarade qui avait eu  recours à ses services. Il m’a juste demandé une noix de cola. Et riant de sa bouche édentée, il m’a dit de partir. Que « ma dulcinée sera plus collée à moi plus que ma peau. » Pour une cola seulement ? Je n’ai pas cru à ce que ce vieux a raconté.

 

 Je vis donc avec désespoir, écrit sur le derrière de l’oiseau de fer qui disparaissait  dans les nuages, le mot fin.

 

Fin ? L’histoire ne faisait que commencer !

 

La mort couchée confortablement dans l’âme, je tournais le dos à l’aéroport maintenant silencieux, lorsque mon portable se mit à s’égosiller dans ma poche. Sur l’écran, « Judith mon cœur » m’appelait.

 

- Allô ? Judith ?

- Oui, mon amour !

- Mais, je croyais que les portables étaient interdits dans l’avion ?

- Si ! Mais je peux maintenant crasher en toute tranquillité après avoir entendu ta voix ! Je t’embrasse très fort.

 

Elle avait raccroché. Je regardai le portable. Mon cœur fit un entrechat dans ma poitrine. Judith ne m’oubliera pas ! Heureux de cette évidence, je sprintai vers la sortie. J’allais enfourcher ma bicyclette, quand le téléphone sonna encore.

 

Un message : « Te rappelles-tu notre première fois ? C’était si merveilleux ! Tu  es si fort ! Un baiser aussi doux que l’ombre d’une brise après la pluie. Kiss ».

 

Holà ! Hoyé !  L’amour, c’est beau ! L’amour, c’est doux !

 

Je chantai à tue-tête en slalomant sur mon vélo entre les véhicules qui encombraient la circulation. Je faillis ne pas voir l’œil rouge d’un feu tricolore. Mais mon portable m’intima l’ordre de m’arrêter. Judith venait de balancer dans son gosier un nouveau texto : « Tu es aussi beau qu’un ange du paradis céleste ! » Je lançai un sourire étincelant à une demoiselle qui patientait dans son véhicule. Elle me fit un clin d’œil.

 

Le feu partit sur le vert. J’arrivai chez moi. A peine puis-je dormir cette nuit-là. Judith m’appela dès qu’elle atterrit à Paris.

 

- Paris est très beau. Mais il n’arrive pas à la cheville de ton plus mauvais sourire !

- Ah, n’exagère pas !

- Je le dis sincèrement car sur chaque belle chose que je pose mon regard, je ne vois que ton visage qui me sourit. Tu m’as ensorcelée. Je ne savais pas que je pouvais aimer quelqu’un de cette manière et qu’être éloignée de lui pouvait me faire tant souffrir. Je crois que je vais écourter mes vacances. Je passe un mois ici et je te rejoins.

- N’écourte donc pas tes vacances pour moi !

- Pourquoi ? Tu m’as déjà trouvé une remplaçante ?

- Ne dis plus jamais ça ou je le ferai réellement !

- Non, je plaisantais !  

 

Nous continuâmes à raconter ainsi des sottises et des idioties pendant trente bonnes minutes. Puis, elle décida enfin de raccrocher. Je me disposais à déposer l’appareil, qui aurait pu suer tellement il avait chaud, lorsqu’il se mit encore à pleurer que Judith m’appelait. Je décrochai :

 

- Oui !

- Je t’adore !

- Oui, tu me l’as déjà dit !

- Tu es un ange !

- Ça aussi !

- Je t’aime comme un caïman dévorerait un poulet bien dodu !

- …

- Je t’aime comme une folle ! Comme un âne affamé dévore un tas d’excréments !

- (Beurk !)

- Oh, comme j’ai envie de te croquer, te dévorer, te boire comme un cannibale étanche sa soif dans une calebasse pleine de sang !

- ?????

- Je  t’aime ! Ah ça oui, je t’aime !

- Euh, chérie, si on s’appelle demain ? Je veux dormir un peu car je suis fatigué et il est une heure du matin !

- D’accord, mon chou ! Dors bien ! Je veille sur toi.

 

Elle raccrocha. Et aussitôt, le portable gémit de nouveau.

 

Un message : «  Ferme les yeux et imagine-moi en train de bercer tes pieds comme un cadavre sur l’océan ». Je sursautai. Mais cette fille devenait folle. Mon portable sonna encore : « Oui, je suis folle. Folle de toi ! » Voilà qu’elle lisait maintenant dans mon esprit. J’éteignis le portable. Et me couchai. Je fis un cauchemar. Judith me poursuivait avec de longues dents.

 

Mais à aucun moment, je ne pensai à Djinnaaba.

 

Je me réveillai en sursaut. Il faisait jour. 

 

J’allumai le téléphone : il cria successivement à s’en fendre l’âme. 109 messages ! Tous de Judith. L’appareil grinça une fois encore avant de s’éteindre définitivement. C’était le 110e SMS de Judith !

 

Ma décision fut prise : «  Je change de numéro ».

 

Je m’habillai rapidement et fonçai vers une compagnie de téléphonie mobile. Un mois encore de ce harcèlement et je deviens fou. Une demi-heure plus tard, je ressortais de l’entreprise, un nouveau numéro dans mon portable rechargé. Enfin libre pendant un mois !

 

Sans aucun doute, l’amour est une prison !

 

Pendant deux jours,  je vécus comme de l’air sur un désert sans obstacle et à aucun moment, le souvenir de Judith ne vint m’importuner. Lorsque je me rappelai mes pleurs la veille du départ de ma dulcinée, je me traitai d’imbécile et de tous les noms d’oiseaux.

 

L’après-midi du troisième jour, je rentrai chez  moi en sifflotant après une visite chez un ami et un sachet à mon guidon. J’investis ma chambre.

 

Quelques instants plus tard, mon petit-frère vint m’appeler, me disant que j’avais de la visite. Dès que je fus dans le salon, mon cœur s’arrêta.

 

Judith était là. Je m’évanouis.

 

ZOURE



14/03/2012
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