Les Nouvelles de Zouré

Les Nouvelles de Zouré

Les sorcières mangeuses d'âmes

LES  AVENTURES  DE  ZATIBAGAN

 

CHAPITRE 1

 

 

         Il  est minuit. Qu’elle  est  sombre, cette nuit ! Noire. Glaciale. Un  vent d’outre-tombe soufflait, vibrant dans le  feuillage  des  arbres, hululant  aux  arêtes  des  toits  de  chaume. Des  chiens hurlaient  à  la  mort, ponctuant le hi han  des  ânes. Les  cases  des  concessions, soudain  comme groupées, semblaient  blotties  les  unes  contre les  autres. On aurait  dit  qu’elles  avaient  peur  de  la nuit.

 

            Soudain, d’une  concession une  lueur  monta. Elle  ressemblait à la  flamme  d’une  allumette, mais  en  un peu  plus  grand, suspendue  au-dessus  des  cases, blanche, sa  pointe  dansant  comme un  ruisseau  d’eau ondulant. Elle  oscilla  ainsi pendant un instant  avant  de  s’ébranler   vers un  gigantesque arbre, le  grand  fromager  du  village  de Bizinokou.

 

            C’est  alors  que  de   presque  chaque  concession  de  ce village, d’autres  feux  du  même  genre  convergèrent  vers le  fromager. Ils  étaient  de toutes  les  formes, ces  feux  bizarres  qui  ne  semblaient  pas  provenir  d’une  allumette. Il  y en avait  des  ronds, des  carrés, d’étoilés, des  cylindriques. Il  y en  avait  même  un, long, qui  ondulait comme  un serpent.

 

            Bientôt  le  fromager  devint  un  brasier  où  étaient  agglutinées  ces  abeilles  incandescentes. Il  ressemblait  du  coup à  un arbre  de  Noël. Un  sapin  de  Noël  bien  étrange, où  les  ampoules  n’étaient  pas  des  ampoules  ordinaires. Etrange.

 

*

*      *

 

 

            Wanganhoba  est  un  homme  de  trente  ans. Mais  il  n’a toujours  pas de  femme. Toutes  les  filles  ne  voulaient  pas  de lui. Elles  le  trouvaient  trop  laid. Ce  qui  rendait  Wanganhoba  fort  malheureux. Il  ne  comprenait  pas  pourquoi  on  le  disait  laid. Il  a  beau  se  mirer  dans  toutes  les  positions, il  ne  voyait  pas  en quoi  il  n’était  pas  beau. 

 

            Ses  oreilles  sont  bien décollées  et  bien  larges  et  n’enviaient  rien  aux  oreilles  des éléphants. Sans  compter  que  les  éléphants  trouvaient bien  leurs  oreilles. Son  nez  est gros, comme  tout  le  monde, et  même que  lui son  nez  avait  la  rare  particularité  de  remplir  tout  son  visage.

 

            Ses  yeux  sortaient  de leurs  orbites. Ce  qui  lui permettait  de  mieux  voir  que  les  autres. Ses  dents  sont  bien  longues  et  bien  noircies  par  le  tabac  et  la  cola. Toutes  ces  beautés cohabitaient  dans  un visage  carré  à la  peau  de  granit pilé, mélangé  à  un  teint  d’ébène  brûlé.

 

            Il  est  aussi grand  et  fort  que  le  fromager  du  village (enfin, presque), ses  mains  rendent  jalouses  les  pelles  et  ses  lèvres  se  moquent  de celles  de  l’hippopotame. Conclusion : il  était  beau  comme  un  paysan  se  doit  de  l’être. Et  Wanganhoba  ne  comprenait  pas  pourquoi  les  filles  disaient  de  lui  qu’il  est  aussi beau  qu’un  rhinocéros  enlaidi. Sinon  pire ! Et  puis, le  rhinocéros  n’est  pas vilain. N’empêche  que les femmes le  fuyaient  quand  même.

 

            Ce  matin cependant, Wanganhoba  est  fébrile : il  a  rendez-vous  avec  une  jeune  fille  de  20  ans. Une  très  belle  jeune  fille, espiègle, effrontée  et  coquette. Elle  aimait  jouer  des  tours  pendables  aux  garçons. Et  elle  leur  cédait  difficilement  si  ceux-ci  tentaient  de  lui faire  la  cour. Et on  lui  faisait la  cour, car  c’est  la  plus  belle  fille  du  village  de  Bizinokou.

 

            Wanganhoba  est  donc  fébrile  parce  que  la  fille  que  tous  les  mâles  du  village  convoitaient  et  qui  aimait  jouer  des  tours mauvais lui  a  donné  rendez-vous  dans  la  brousse.  C’est  la  première  fois  que le  pauvre Wanganhoba  avait  rendez-vous  avec  une  fille ! Car  chaque  fois  qu’il tentait  d’aborder  une  fille, elle lui  riait  à  son  gros  nez. Un rendez-vous ! C’était  donc  sensationnel. Et  pour  une  situation  sensationnelle, avec  une  fille  sensationnelle, il  fallait  que  lui-même  soit  sensationnel !

 

            Voilà  pourquoi  il portait  un  chapeau  troué au  milieu  du  crâne  et  baillant  comme  un  crapaud somnambule, un  pantalon  qui  n’arrivait  pas  à l’orée  de  sa cheville, une  chemise dont  le  bas  a  perdu  trois  boutons, laissant  voir son nombril  gros  comme  une  termitière. Ses  pieds  aux  talons  fissurés  débordaient  des  chaussures  mille  fois  rapiécées. Avec  cette tenue, ce  qu’il  y a  de  meilleur  dans  sa  vieille  malle, la  belle  demoiselle  va être  baba !

 

            Une  daba  sur l’épaule, il  marchait  sur  le  sentier jalonné d’herbes  vertes et  fraîches, bercé  par le  chant  des  oiseaux  dans  les  arbres  de  la  savane. Il  se mit  à  siffloter. Soudain :

 

            - M’lèèèè !  M’lèèèèè ! M … mmm’lèèèèèè !

 

            Wanganhoba  stoppa  net.

 

            - M’lèèèè ! M’lèèèè !

 

            Il  n’y a  plus  de doute, c’est  un bébé ! Mais  un  bébé  dans  un  buisson ? Wanganhoba  s’engouffra   dans  ledit  buisson. Dans  sa  hâte, une  des  lanières  de  ses  chaussures  se  cassa. Il  se  débarrassa  de  toutes  les  chaussures. Et  il  tomba  sur  l’enfant. Un  bébé  encore  rose, menu. Ses  petits  pieds  s’agitant  en  l’air, il  gigotait, sa  bouche  sans  dent  largement  ouverte. Ses  yeux  étaient  hermétiquement  clos.

 

            Wanganhoba  se  caressa  la  barbe, perplexe. Ce  bébé  est-il  abandonné ? Sûrement, puisqu’il n’y avait  personne  à  côté. L’enfant  est  couché  à  même  les  feuilles  de  karité, nu. Il  ne  pleurait  plus.

 

            Le géant  se  gratta  le  crâne. Que  va-t-il  faire ? Peut-être qu’après  tout  la  mère  est  à  côté. Mais  une  mère  complètement  inconsciente ! S’il  l’attrapait  celle-là ! Il  se  mit  à  appeler.

 

            - Hooooooo ! La  maman  du  bébé  est  à  côté ? Qu’elle  vienne  tout  de  suite, le  bébé  veut  sa  tétée !

 

            Soudain, les  buissons  se  secouèrent  fougueusement  et  un  buffle  gigantesque  apparut  devant  Wanganhoba, soufflant  dans  ses  naseaux ! Le  buffle  ouvrit  largement  sa gueule :

 

            - C’est  moi  la  maman  du  bébé ! T’a-t-il  dit  que  lorsqu’il  pleure  c’est  sa  tétée  il  demande ?

 

            La  créature  se  dressa sur  ses  pattes  arrières, dominant  Wanganhoba  qui  s’écroula, ferma  les  yeux  et  attendant  tout, sauf  le silence qui  suivit  sa  chute. Il  ouvrit  lentement  les  yeux : rien. Sauf  les  buissons, le  soleil  et  le  chant  des  oiseaux.

 

            - Qu’est-ce  qui m’arrive ? Pourtant  j’ai bien  mangé  ce  matin ! Et  ce  bébé, qui  est  sa  mère ?

            - Stupide  gros  rhinocéros ! Tu ne  vois  pas que  ma  mère  ne  veut  plus  me  voir ?

 

            Wanganhoba  se  retourna, s’attendant  à  voir  encore    une  créature incroyable. Mais  encore  rien. C’est  incompréhensible. Pourtant  la  voix  venait  de  derrière  lui. C’est  à  ce  moment  que  ses  yeux  retombèrent  sur  le bébé. Et là, son  cœur  fit un  bond prodigieux  dans  sa  poitrine : sur  la  tête  du  bébé, de chaque côté, des  cornes !

 

            Wanganhoba  recula instinctivement, les  yeux  fixés  sur le  bébé diabolique.  Il  trébucha  sur  une  pierre  et  le  voilà  encore à  terre. Lorsqu’il  se  releva, prêt à  courir, le  bébé  se  mit  à pleurer  et … ses  cornes  avaient  disparu. Mais  il  n’avait  pourtant  pas  rêvé. Quelqu’un  avait  parlé  et  ce  bébé  avait  à  l’instant  des  cornes. Il  secoua  la  tête  et  frotta  ses  yeux. Ou alors  quelqu’un  cherchait à  lui jouer  des  tours. Il  pensa  soudain à  la fille qu’il  venait  retrouver : elle  aimait  faire  des  farces.

 

            - Worokia ! Tu  es  là, je suis  sûr ! Sors  de ta  cachette  et  arrête  tes  plaisanteries. Viens  plutôt  m’aider. J’ai  un petit problème,  chérie !

            - Hippopotame ridicule, tu  crois  vraiment  qu’une  fille  aussi  belle  va  s’intéresser  à  toi ?

 

            Cette  fois-ci, Wanganhoba  était  sûr. La  voix  venait  juste  de  derrière  lui. Et  c’est  la  voix  de  Worokia. Il  se retourna, s’apprêtant  à  lui dire  ses  vérités  sur  ce  qu’il  pensait  de  ses  farces. Mais  son  cœur  faillit fuir  de  sa  poitrine  et  décoller  vers la  lune : le  bébé  était  debout  sur  ses  jambes  et  souriait largement, dévoilant  une  rangée  impeccable de  dents. Il  dit :

 

-          Face  de  chimpanzé  aux  fesses  brûlées ! Tu m’as  enfin  vu !

-           

            Contre  toute  attente, Wanganhoba  ne  s’enfuit  pas  et  de  surcroît les  paroles  du  prodigieux  bébé  l’écorchèrent  tellement  qu’il répliqua :

 

            - Eh ! Gousse  d’arachide avortée, si ta mère n’était pas loin, je  t’aurais  lavé  les  fesses à  ma façon !

            - Tu  ne  laveras  donc  pas mes  fesses  car  je  n’ai pas  de  mère. Je  viens  de   tomber  juste  du  ciel !

            - Et  tu crois  me  faire  avaler  ça ? Même  la  pluie  ne  tombe  pas  du  ciel !

            - Et  d’où  tombe-t-elle ?

            - Ben … heu…des  nuages !

            - Et  les  nuages  se  trouvent  peut-être  dans  ton  ventre ! Gros  cochon endimanché !

            - Tu  vas  te  taire !

            - Sinon ?

            - Sinon …

            - Gros mammouth ! Je  t’ai  dit  que  je  tombais  du  ciel ! Je  ne  suis  pas  humain. Je  suis  né dans  un  clan  de  génies  malfaisants. L’un  des  plus  puissants  clans  de  génies malveillants, de  la  race  des génies noirs  opposée à  celle des  génies blancs. Tout  le monde  fait  carrière  dans  le  mal  dans  notre  race. Le  premier  mot  d’un bébé dès  qu’il  tombe  du  ventre  de  sa  mère  c’est  de  dire  que  sa  mère  sent  mauvais  et  de  tirer  la  langue  à  son  père  après. Alors  le bébé  est  fêté. Moi  j’ai  appelé  ma  mère « maman »  et   j’ai  souri  à  mon  père. Ce  fut  un  scandale, jamais entendu  dans  l’histoire des  génies  noirs. J’étais  noir  et  j’avais  le  cœur  d’un  génie blanc. Je  n’étais  ni  noir  ni  blanc. Résultat : j’ai  été  renié  par  toute  la  race  des génies.

            J’ai  alors  décidé  d’intégrer un clan  humain  pour  faire  le  bien. Un buffle  m’a  donc mis  au  monde. Et  me  voilà. Je  suis  à  la  fois  bon  et  mauvais, comme  un  être  humain. Les  génies  sont toujours  soient  bons  ou  mauvais. Jamais  les  deux.  Voilà  pourquoi, vieux  mortier  troué, j’aime  te  couvrir  d’injures  et  voilà  pourquoi  je ne t’ai  pas  encore  rendu  fou.

 

            Wanganhoba  resta abasourdi. Le bébé  est  devenu  un  génie. Ou  le  génie  est  devenu  un bébé. Quoi  qu’il en  soit, ce  n’est  pas un   être  ordinaire  et  un  être  extraordinaire  n’est  pas  commode à   fréquenter, encore  moins  à  élever.

 

            - Ne t’en  fais pas. Je  ne  te  casserai pas  les pieds.

 

            Ceci  dit, le bébé grandit instantanément  et  prit  la  taille  d’un bel  enfant  de  cinq  ans. Wanganhoba  s’exclama :

 

            - Je  ne  rêve  donc  pas ! Tu  es  un génie ! Un  vrai !

            - Ça  c’est  vrai ! Tu  ne  rêves  pas, gros …

            - Ah non ! Tu as  cinq  ans  dans  les  fesses  maintenant ! Ce  qui  veut dire  que  les  coups  de  taloche  peuvent  les  chauffer !

 

            A ce  moment  des buissons  bougèrent  et  la  belle  tête  d’une  jeune  fille  apparut. Wanganhoba  sourit  largement  et  se  tourna  vers  elle :

 

            - Ah…

            - Ah quoi ? Tu  parles  seul  maintenant ? Je t’ai  entendu  menacer  quelqu’un, un  enfant sûrement   car  il  était question de  cinq ans, de  coups  de  taloche  et  de  fesses  à  chauffer.

 

            Embarrassé, le  grand  géant  bredouilla :

 

            - C’est … c’est  cet   enfant  qui  se  montrait  malpoli.

            - Quel  enfant ?

            - Mais  cet  enfant !

            - Ce  buisson  derrière  toi ?

            - Quel buisson ?

 

            Wanganhoba  se  retourna  et  resta  bouche  bée. Il  n’y  avait  personne  derrière  lui, sauf  justement  le  buisson  sous  lequel était  couché le  bébé, si  bébé il y  avait. Wanganhoba  se   caressa  la barbe  qui  ressemblait  à  la  brousse  qui l’entourait. Il murmura :

 

            - J’ai donc rêvé !

            - Que  dis-tu ? Ecoute, malgré que  le  rhinocéros  soit  plus  beau  que  toi  et  plus intelligent,  j’ai  accepté ton  rendez-vous. Tu  me  laisses  attendre  pendant  une demi-heure  et  pendant  ce  temps  tu prends  des  buissons  pour  des  enfants. Si  en plus  tu  es  fou, alors  je  m’en vais !

            - Mais  Worokia…

            - Belle  demoiselle, pouvez-vous  me faire  l’immense  honneur et me  donner  l’immense  plaisir  de  m’accorder  votre sublime  sourire  tout  en  daignant  m’offrir  en  aumône votre  précieuse attention ?

 

            Worokia  se  figea  de  béatitude  devant la  beauté  du jeune  homme  vigoureux  qui  venait  de  lui  parler. Une  culotte  califourchon, un sac  en peau  de  chèvre  en  bandoulière  et  une  pioche  ouvragée,  voilà ce qu’il  portait. Son corps  d’ébène  brillait  sous  le  soleil  matinal. Worokia, subjuguée par  son  beau  sourire  éclatant, balbutia :

 

            - Oui … Oui !

            - Merci  beaucoup, ravissante  belle  femme. Votre  bellissime n’a  d’égal  que  la  générosité  de  votre  doux  cœur. Je  ne  vais  pas  abuser de  votre précieux  temps. C’est à  propos  de Wanganhoba.

 

            Le  jeune  homme  fit un clin d’œil  au  paysan. Celui-ci, d’abord surpris par l’apparition brutale du jeune homme, et   qui  bouillonnait  déjà  de  jalousie, fut  submergé  par un désagréable  soupçon. Et  si c’était …

 

            - Vous  pensez  peut-être  que ce  gros  rhinocéros est  moins beau  qu’un  crocodile, mais  il  a  du  mérite. Sûr, d’abord  ce  n’est  pas  sa  beauté   physique  que  vous  aurez  chaque  jour  dans  votre  assiette  à  chaque  heure  de  repas. Mais  bien entendu  de  la  nourriture. Or  de  la  nourriture  il  en  a  à  revendre car  c’est  un  grand  cultivateur. Vous  n’ignorez  sans  doute  pas  qu’il  est  le  seul  au  village  de  Bizinokou  à  avoir  dix  greniers  pleins  à  lui  seul. Que  souhaiter  de  mieux  que  de  vivre  dans  l’abondance  et la  quiétude ? Avoir  un beau  mari  qui passe  le  clair  de  son  temps à  dormir  et  à  chercher  d’autres  femmes  plus belles … pardon …moins  belles  que  vous  n’est  qu’une  bêtise.

            « De  plus, une  fleur  aussi  belle  soit-elle  doit s’éclipser  lorsque  la  graine devient  mûre ; elle  doit  se  flétrir, mourir,  tomber. La  beauté  n’est  pas éternelle. Votre  mari  ne  sera  pas  beau  jusqu’à  la  tombe. Vous  aussi  vous  serez  couverte  un jour  de  rides  hideuses. Alors  arrêtez  de  baser  le critère  du  choix  de votre  mari  sur  la beauté, mais  sur  l’amour  que  vous  lui  portez  et  de l’attention  et   du  respect  dont  il  vous  entourera. C’est  là  que  l’amulette  du  bonheur  se  cache.

            « Enfin, entrez  dans  l’histoire, réalisez  ce qu’on n’a jamais  dit : « enfin, elle  se  maria avec  le  prince  de  ses  rêves : vilain, fort  et généreux ! » Vous  ne  croyez pas, ô  sublime  créature ?

 

            En  disant  cela, la main du  jeune  homme  passa  devant  les  yeux  de  la  jeune  fille. Elle  se  retourna   et  se  jeta  dans  les  bras  de  Wanganhoba  ahuri… et heureux.

 

            Ceci  fait, le  jeune  homme, tel  un  ballon  de Mongolfield  percé  par  une  mouette, devint  un enfant de  cinq  mois. Assis  dans  l’herbe, jambes  écartées,il  leva  le  doigt  et  parla  avec  la  voix  d’un homme de  trente  ans.

 

            - Voilà, j’ai  accompli  mon  premier  bienfait  dans ce  monde  humain : rendre  modeste  une  jeune  fille  fort  malheureusement  orgueilleuse  et   donner  une  femme  à  un  homme  qui  risquait de  mourir  dans  les  bras  de la  solitude. Vous  êtes  à  présent  mes  parents  ici-bas. Vous  me  servirez  de  couverture pour  que  je  puisse  mener à  bien  la  mission  que  je  me  suis  fixée : faire  le  bien.  Le  mal a  beau  duré, celui  qui  fait  le  mal  mourra. La fortune  mauvaise  et impolie a  beau  duré, le  fortuné  impoli  et  mauvais  finira  par  finir.

            « D’où  mon  nom : ZATIBAGNAN.

            «  Je  suis  le  génie  venu  libérer  les hommes  des   malédictions  des  mauvais  génies. Celui  aussi  qui  va tirer  les  oreilles  aux  grands garnements  qui se prennent  pour  des  sorciers  ou  pire, des  génies. Emmenez-moi au  village  et  si  l’on  vous  pose  des  questions, répondez seulement  que  je  ne  suis  qu’un pauvre  petit  orphelin  abandonné  par les  siens  et  que vous  avez  recueilli. Ce  qui  est  d’ailleurs  vrai.

 

            Il  redevint un  enfant  de  cinq  ans.

 

            - Emmenez-moi  au  village. Je dois  commencer  ma  première  mission. Vous  l’ignorez  peut-être, mais  Bizinokou  est  infesté  de  sorcières  mangeuses  d’âmes. Et  elles  contaminent  tout  le  monde  dans  le  village. Tous  les habitants  risquent  de  devenir  des  sorciers  si  on  n’y met  fin. Vous-même  risquez  d’en  devenir. Surtout  toi, Worokia.

            - Quoi ?

            - Oui. Elles  sont déjà  au  courant  de  ma  venue  en  ce  monde  et  connaissent  mes   desseins. Voilà  pourquoi  elles  recrutent  un maximum  de  soldats  pour  m’attaquer. Si  elles  savent  que  tu  es  avec  moi, elles  te  tueront.

            - Moi ? Mais  comment  faire  pour  que  cela  n’arrive pas ?

            - Emmenez-moi  au  village. Je  vous  protégerai. Et  je  les  détruirai. Avant  que  Bizinokou  ne  devienne  effectivement,  comme  son  nom l’indique, le village  des  sorciers.

 

*

*      *

 

 

            Des  feux. Des  centaines  de  boules  de feu. Des  boules  grosses  comme  des  pamplemousses, crépitantes. Des  étincelles  jaillissaient  d’elles. Elles  tournèrent  en  rond, comme  la  lune  autour  de  la  terre, autour   d’un géant  baobab  au  tronc  éventré  qui  lançait  ses  bras  décharnés  et  griffus  vers le  ciel.

 

            Elles  tournèrent ainsi  pendant  une  dizaine de  minutes, incendiant  de lumière  la  brousse  alentour. Brusquement, elles  descendirent  à ras  du  sol. Sauf  une. Une   seule. Plus  grosse  que  les  autres. Tel du  soleil, les  miettes  de  feu qui  tombaient  d’elle    ressemblaient  à  des gouttes  de  lave.

 

            Plus  lentement  que  les autres, elle  descendit  et  toucha  terre, au  milieu  des  centaines  de  boules  de  braises  crépitantes. Elle  s’étira  vers  le haut. Progressivement, des  formes  d’une  femme  émergèrent  de  cette  planche  de  feu. Les  formes  d’une  vieille  femme. Une vieille  femme. Une  très  vieille femme. Mais  elle  n’est  pas  courbée  et  sa  bouche  ne  montre  pas  les  signes  d’une  carence  de  dentition. Une  vieille  femme  nue. Mais  couverte  de  poils. Des  poils  bien  fournis. Des  poils  de  chien. Elle  leva  ses  bras  décharnés  aux  doigts  griffus  vers  le  ciel  et  elle  ouvrit  la bouche. Quelle  dentition !

 

            Des  crocs. Des crocs  de chien. Des  canines  gigantesques. Une  longue  langue  gluante  de  bave zigzagua  entre  cette  double  rangée  de  pas gentils  ornements  vers  l’air  libre  et  glapit  ce  charabia :

 

            - Ak tiwou ! Ak  roulou !

 

            Aussitôt, les  autres  boules  de  feu  s’allongèrent, prirent  des  formes  humaines, des formes  de femmes  de  tous  les  âges. De  toutes  les  tailles  et  de  toutes  les formes. Cependant, elles  sont  belles. D’une  beauté  époustouflante. N’eut  été  le  sinistre  baobab dont  le  ventre  béait  comme  la gueule  d’un ogre, la  nuit sombre  et  la  drôle  d’ambiance  qui  régnait  on  se  serait  crû   sur  le  podium  où  se déroulait  une  élection  de  belles  femmes.

 

            Mais  le  mirage  ne  dura  pas  longtemps.  Leurs  corps  se  couvrirent  soudain  de  poils  de  tout  acabit  et  de  toutes les  sortes  de  griffes  inimaginables : allant  du  chimpanzé au  chat, de  l’âne  au  bœuf, en  passant par l’antilope  et le  phacochère. Elles  étaient  belles,  jusqu’au  moment  où  elles  ouvrirent  la  bouche   pour  pousser  cette  clameur  à  donner  des  ampoules  aux  colonnes  vertébrales :

 

            Un cri  de  chien  hurlant  à  la mort. Ou de  loup. Ou  de  loup-garou. Ou  de  sorcière. Des  sorcières  mangeuses  d’âmes.

 

            Ce  cercle  de gueules  ouvertes  était  semé  de  crocs  terribles, dégoulinant  de  bave. Elles  n’étaient plus  belles  du  tout. Horribles  plutôt.

 

            - Ak  rougoubou out ! Cria  soudain  la  vieille  canidée.

 

            Un  silence  de  tombe  envahit  la  scène. Les  yeux rouges,  comme  l’arrière-train  d’un  singe  enflammé, embrasèrent  le  cercle  de  femmes, puis  les crocs  se  rouvrirent  pour  laisser  sortir  enfin  des  sons  compréhensibles :

 

            - Mes  chères  consoeurs. Ce  soir, c’est  notre  grande Assemblée  Générale. L’AG  des  sorcières  de  Bizinokou, de Goromingakou, de Gorozablakou, de Kikirizidakou, de Hoblèzidakou, de Hobriba Yinbribakou. Je  vous  remercie  d’être  venues.  Au  menu  ce  soir :

 

            - Baptême des nouvelles  recrues

            - Revues  des  dettes

            - Bilan  de la  conquête  de  Bizinokou  et  de  Hotigèbakou.

            - Inventaire  des  prises  de   ce  jour

            - Divers

 

            Et pour  finir, la  réception. Sans  tarder, baptisons  les  nouvelles  recrues. Y a-t-il  des  nouvelles  du  côté  de  Bizinokou?

 

            - Oui, dit  une  très  belle  femme. Mon  amie  Minkamalou.            

            - Et  ma  fille  Worokia, dit  une  autre.

            - Bien. Que  la  cérémonie  commence.

 

            Une  jeune  fille  entra  dans  la  gueule  du  baobab  et  en  ressortit  avec  un  mortier  étrange, un  pilon  bizarre  et  un  poulet  au  plumage  noir  qu’elle  posa  au  milieu  du  cercle  et  repartit s’asseoir. La  vieille  femme  cria :

 

            - Wokalèma, emmène  le corps  de  ton  amie  Minkamalou.

 

            La  femme  se  leva  et  entra  à  son  tour  dans  le  ventre  du  baobab  et  revint  avec  une  femme endormie  dans  ses  bras  qu’elle  déposa  au  pied  du mortier.

 

            - Réveille-la !

 

            Elle pinça la  joue  de  Minkamalou  qui  ouvrit les  yeux  en  sursaut. La  vue  de  ce  lieu  sinistre, habité  par  des  habitantes  non  moins  sinistres  l’affola  instantanément. Elle se  mit  debout  tout  d’un coup, prête  à  détaler. Elle  vit  alors son  amie.

 

            - Wokalèma ? C’est  toi ? Tu  es  devenue  très  belle ! Mais  que  fais-tu  ici, parmi  ces  femmes  et  toute  nue ?

 

            Elle  se rapprocha  de  son  amie  qui  avait  perdu  ses  dents  horribles, adoptant  un  visage  beau  et  paisible, aux dents  saines. Elle sourit  à  son  amie  qui  lui  répondit. Minkamalou  regarda  les  autres  femmes  nues  et  couvertes  de  poils. Elles  ouvrirent  leur  gueule et  ce qu’elle  vit  la  fit  crier  et  se  blottir  dans  les  bras  de  son  amie.

 

            Une  odeur bizarre  entra  dans  ses  narines. Une  odeur  de  viande  pourrie. Elle regarda  alors  le visage  de  son  amie  pour  tomber  sur  la  gueule  ouverte, remplie  d’os  pointus  et  menaçants  tandis  qu’une  langue  horrible  dégringolait  vers  elle. Ses cheveux  se  hérissèrent  et  marquèrent le  pas. Poussant  un  cri  aigu, Minkamalou  voulut  s’enfuir. Mais  elle trébucha  et  se  retrouva  assise  au  fond  du  mortier  qui  se    couvrit  de  sang. N’en pouvant  mais, Minkamalou  cria  de  toute  la  force  de  ses  poumons.  Les  sorcières  éclatèrent  de  rire. Des rires pleins  de  canines. Mais pas  la  vieille  femme :

 

            - Trêve  d’humanité !

            - Minkamalou, tu  te  rappelles de  ce que  tu  m’as dit avant hier ? Tu  voulais  te  venger  de  ta  coépouse  qui  s’est  moquée  de  ta stérilité. Tu  veux  tuer  son  fils, unique, et  dont  votre  époux  se vante. Tu  veux montrer  à  cette  femme  qu’elle  ne  doit  pas  se  moquer du  malheur  qui arrive  aux  autres.

 

            La  peur  disparut  peu  à  peu  des  yeux  de Minkamalou. La  haine  commença  à  y  allumer  une  lueur inhumaine. Une  lueur haineuse.

 

            - Oui, tuer, tous  ses  enfants.

            - Alors, prend  ce  poulet, met-le  dans le  mortier, fait  de  viande  humaine  mélangée  à  la  poudre  d’ossements  humains, le  tout  malaxé  dans  du  plasma  humain, cuit  et  séché  sous  les  flammes d’ongles  humains  brûlés.

 

            Comme  hypnotisée, Minkamalou  prit  le  poulet  noir  et  le  mit  dans le  mortier  diabolique.

 

            - Pile avec  le pilon fait  de  deux  tibias  de  deux  jeunes  gens  âgés  de  vingt  ans.

 

            Elle  pila  le poulet. Vivant. Elle  l’écrabouilla, jusqu'à  ce  qu’il  ne  devienne  qu’une  pâte  visqueuse  d’os et   de plumes.

 

            - Prend  ce  crâne.

 

            Elle  prit.

 

            - Arrose  le succulent  met avec le contenu. C’est  de  la  graisse  fondue  d’un  bébé  d’un mois.

 

            Elle  arrosa.

 

            - Mange.

 

            Elle  se  mit  à  manger.

 

            Les  sorcières  poussèrent  encore  leur  clameur  horrible. Minkamalou  tomba  soudain  au sol  et  se  mit  à  se  débattre, comme  en  lutte  contre  un être  invisible. Puis  elle  se  calma. Inerte. Tout  à  coup, son  corps  s’alluma  de  l’intérieur. Une  lumière  rouge, incandescente. La lumière  prit  forme  et  comme  une  femme  se  levant  de  son  lit, la forme se  dressa  et quitta  le  corps  de  Minkamalou, qui ne  semblait  alors  ne  plus  être  qu’une  enveloppe  flasque  sur  le  sol.  La  forme  rouge  s’éleva  en  l’air, se suspendit  et   se  mit  à  tourner  sur  elle-même, rapidement. Et  devint  une boule, qui s’allongea  et  devint  progressivement  une  femme. Une  femme qui  est  Minkamalou. Mais  en plus  belle. Très  belle. Jusqu’à  ce que,  la  métamorphose continuant, des   poils  commencèrent à pousser  sur  son  corps  et  des  canines  à  écarter  ses  belles  lèvres.

 

            - Bienvenue  dans le  monde des  sorcières, Minkamalou.

 

 

            Les  sorcières  poussèrent  encore  leur  clameur  diabolique. Minkamalou  y  mêla  sa  voix. Celle  d’une sorcière.

 

            - Au  tour  de  Worokia maintenant, dit  la  vieille femme.

 

 

 

 

*

*    *

 

            Une  clameur  réveilla  le village de Bizinokou. La  clameur  venait  de  la  concession  voisine  de  celle  de  Wanganhoba  qui  se  réveilla. Son  regard  se  dirigea vers la  porte  de  sa  case. Il  sursauta. Un immense  python  était  enroulé à  la  porte  de  sa  case. Ses  yeux  brillaient.  Bien  que  brave  et courageux, Wanganhoba  commença  à  trembler  malgré  lui  et  sa  voix  appela  sans  savoir.

 

            - Zatibagnan ! Zatibagnan !

 

            Le  python  leva  sa  tête  triangulaire et  sa langue  fourchue  tâtant  l’air, il  se  déroula   vers  Wanganhoba  qui  recula  sur  sa couche  et   se  retrouva  coincé  au  mur  de sa  case.

 

            - Zatibagnan ! Où es-tu ?

 

            Le  serpent  siffla. Ses yeux  s’approchèrent  de Wanganhoba, tandis  qu’une  queue  froide  s’enroulait  autour  de  sa  taille. Elle  l’entoura  tendrement  et   grimpa jusqu’au  cou. La  tête  du  reptile  se  plaça à  la  hauteur  de  sa  tête  et  fixa  les yeux  de  Wanganhoba. Terrifié, le  géant  cria  dans  un  souffle.

 

            - Zatibagnan, viens  me sauver !

            - Gros poltron, c’est  comme ça  qu’un père  doit  se  comporter  devant  un  danger ? Un  père  qui  appelle  son  fils  de cinq  ans  de  venir  le  sauver  d’un  géant  python  de trente  mètres  de  longueur !  C’est  comme  ça  que  tu  comptes vaincre les  sorcières  qui  viennent  de prendre  ta  future  femme ?

 

            Wanganhoba  n’en  croyait  pas  ses  yeux. La tête  de  Zatibagnan  avait  pris  la  place de  celle  du  serpent. Zatibagnan  est  le  serpent.

 

            - Lâche-moi, sale  garnement !

            - Sinon  tu  vas me  tirer  les  oreilles ? Essaie  un peu !

            - Ça  suffit !

            - Vrai. Ça  suffit !

 

            Le  serpent  disparut  pour  laisser  la  place  à  un  garçon  de cinq  ans.

 

            - Quelle  est  cette  clameur  dehors!

            - Une  pauvre  et  innocente  femme qu’on veut lyncher  pour  une  faute  qu’elle n’a  pas  commise.

            - Mais  il  faut  les  arrêter ! Ce  qu’ils  font  est  mauvais !

            - Ce  qu’ils  font  tu  l’as  déjà  toi-même  fait  maintes  fois  en  insultant, en  chassant, en  humiliant  de  pauvres  femmes  pour  des  crimes  dont  elles  ignorent  jusqu’à  l’existence.

            - Cela  m’attriste  beaucoup.

            - Tu  n’es pas encore  triste. Viens,  je  vais  te  montrer  plus grave.

 

            Il  prit Wanganhoba  par  la main. Une  fois  dehors, Zatibagnan  prit  son  élan  et  s’envola, tenant par  la  main  son père  adoptif.

 

 

CHAPITRE 2

 

            Le  vent  sifflait  dans  les  oreilles  de  Wanganhoba. Il  regardait les  cases  de  Bizinokou  qui  défilaient  rapidement  sous  lui.  Elles  étaient  maintenant  si petites  et  les étoiles  si  proches.

 

            Soudain, Zatibagnan  se  dressa  et  piqua  vers le  ciel, à une  allure telle  que  Wanganhoba  ne  voyait plus rien, sauf  l’impression  qu’il  courait  à  toute vitesse dans  un  tunnel  blanc. La  rage du  vent  frappait  ses  yeux, les  faisant  pleurer. Wanganhoba  les  ferma. Longtemps.

 

            Brusquement  la  course  s’arrêta  net. Le  paysan  ouvrit  les  yeux et  regarda. Ils  étaient  sur  un  arbre. Un  baobab. Quelque  chose  attira ses yeux droit  devant  lui. Des  femmes. Plein  de  femmes. Nues. Très  belles. Mais  très  hideuses  à  la  fois.  Etrange. Etrange  est  aussi  ce  qu’elles  faisaient  là, autour  de  ce  baobab  gigantesque, en pleine  nuit.

 

            Elles  formaient   un cercle autour  du  baobab. Au milieu,  un mortier  et  une  vieille  femme. Que  faisaient-elles ? Que  signifie  tout  ceci ? II  voulut ouvrir  la  bouche, mais  une  voix  entra  en  trombe  dans  sa  tête  et  résonna  ceci :

 

            - Surtout  n’ouvre pas  la  bouche  si  tu  ne  veux  pas voir  tes  os  rongés  par cette  multitude  de  crocs  et  de  canines. Communique  par  la pensée. Pense  et  je saurai  ce  que  tu  veux  dire. Mais  ne  pense  pas  trop  fort, car  même à  cette  distance  ces  sorcières  pourraient  nous  entendre. Nous  sommes à cinq  kilomètres  du  baobab  des  sorcières. J’ai  augmenté la  capacité  visuelle  de  tes  yeux  afin  que  tu  puisses voir ce  qui  se  passe.

 

            Wanganhoba  obéit  et  pensa :

 

            - Mais  qu’est-ce  que  c’est  que ça ?

            - Ça  c’est  la  rencontre des  sorcières  Horkounda, la  race  la plus  terrible  et  la  puissante  des  sorcières  qui  soit. Elles  sont  aidées  par  les  génies noirs. Ma  mère  venait  souvent  à  ces  rencontres, alors  que  j’étais  dans  son  ventre. Elles sont  terribles  et leur fringale  pour la  viande est  incomparable. Elles  proviennent  de  plusieurs  villages. Chaque  membre  de la  confrérie  doit  deux  âmes  à  chaque  rencontre. C’est  la  somme  de  ces  âmes qui  constituera  les  mets  qui  alimenteront  le  buffet. Celles  qui  n’arrivaient  pas  à  faire  bonne  chasse  étaient  obligées  de se  rabattre  sur leurs  propres  enfants, leur  mari etc.

            « Cette  confrérie  a  aussi  des  missions  et  celle  sur  laquelle  elles  sont  maintenant  c’est  de  conquérir Bizinokou. Arriver  à  transformer, sinon  tout  le  village, au  moins  une  bonne  partie  en  sorciers.  Ce  soir  elles  ont  eu  deux  nouvelles  recrues : Minkamalou  et  ta  fiancée Worokia.

            - Quoi !

            - Je  t’ai  dit  de  parler  plus  doucement  sinon  c’est  ta  fiancée  elle-même  qui  se  chargera  de  te  curer  les  intestins !

            - Mais  il  faut  les  arrêter ! Tu es  un  génie ! Tu  es   plus  fort qu’elles ! Sauve  ma Worokia.

            - Je  ne  peux pas. N’oublie  pas  que  je ne  suis  qu’un  bébé  pour  l’instant. Je  peux  les  combattre  une  à  une  mais  contre  cette  multitude  elles  viendraient à  bout  de moi.

            - Mais  un  génie  ne  meurt pas !

            - C’est  ce  que  tu  crois. Toutes les  créatures  de  Dieu  ont  une  fin. Je  ne  suis  pas une  exception. Je  vis  plus  longtemps qu’un  être humain, certes  mais je  ne suis  pas  immortel et  une sorcière  peut  mettre  fin à  ma  vie, surtout  si  elle  tire  sa  force  d’un génie  noir.

            - Donc  nous  ne pouvons  rien  faire  pour  Worokia ?

            - J’ai  implanté  dans  son cœur  une  sorte  de  virus  qui  l’aidera  à  résister  à  l’effet  nocif  de  leur  maudite  potion  magique.

            - Regarde ! C’est  Worokia !

 

            En  effet, la  jeune  fille  s’était  levée  et avait  pris  le  pilon, comme Minkamalou. Elle  se  mit à  piler. Dès qu’elle  finit, elle  prit  le  crâne  de  la  main  de  la  vieille  femme  et  arrosa  le  contenu  du mortier. Puis, elle  se mit  à  manger. Soudain, elle  attrapa des  deux  mains  son  ventre  et  poussa  un cri  de  douleur. Les  sorcières  se dressèrent, semblant  du  coup  inquiètes.

 

            Le  corps de Worokia  s’alluma, en  rouge. Les  sorcières se rassirent, comme  rassérénées.  La  flamme  rouge  sortit  du  corps  de la  jeune  fille  qui ne  tomba  pas  cependant  car  aussitôt  que  la  boule  rouge  sortit, Worokia  s’alluma de  nouveau, mais  cette  fois-ci  en  bleu  et  une  boule  bleue  s’en échappa  et  fonça  sur  la  boule  rouge. Les  deux  boules entrèrent  en collision. Il y  eut un  choc  violent  dont  le  souffle ébranla  le  sol  et  les  airs. Les  deux  sphères  devinrent une  et  l’ensemble  se  noircit.

 

            Ce fut  comme  si ces  deux  phénomènes  ronds  menaient  une  lutte  sans  merci. On  entendait  des  cris  bizarres  et des bruits  étranges. Soudain  la  sphère  noire  et  instable  fonça  vers  le  corps  de Worokia toujours  debout et  s’y engouffra. Worokia s’écroula  et  resta  inerte.

 

            La  vieille  femme  se  leva  et  rugit  de  colère.

 

            - Ceci  est  l’œuvre  d’un génie. D’un  génie  noir. Ce  doit être  ce  morveux  de  génie  dont  m’a  parlé  Ginazida, le  chef  du  clan  des génies de   Ginazablare. Ce  bébé  mi-génie noir  mi-génie blanc. Si  je  l’attrape  celui-là ! On  arrête  la  cérémonie. Emportez  Worokia  dans  le  baobab. Nous  attendrons  trois  jours. Si  le  virus  de la  sorcellerie  ne  vient  pas  à bout  de  celui  du  morveux génie, nous  l’utiliserons  comme  appât. S’il  ne  mord  pas, alors nous  la tuerons.

            -  Noooon !

            - Tiens ! Il  y a  déjà  mordu ! Ramenez-le-moi !

 

            Une vingtaine  de  flèches  incendiaires  filèrent  vers  le  baobab  où  se  cachaient  Zatibagnan  et Wanganhoba  qui  avait  prononcé  ce  non tonitruant  qui  risquait  de  les  perdre. Zatibagnan  maugréa :

 

            - Tu  es  vraiment  impossible  et  inconscient  comme papa. Filons  d’ici  avant  que  ces  montagnes  de  crocs  ne  nous  transforment  pas  en  charcuterie.

            - Quoi ! Mais  je  pensais  que  les  sorcières, une  fois  qu’elles  se  sont  immatérialisées, elles  ne peuvent  plus  faire  de  mal  qu’aux âmes !

            - Suis-moi  vite  ou  alors  tu  te  rendras  compte  par  toi-même  que  tu  dis  des  bêtises !

 

            Ils  prirent  leur  envol. Juste  au  moment  où  les  flèches  rasèrent les  branches  du baobab.  Mais elles  revinrent  à  l’attaque  et  se mirent à  leur  suite...

 

 

Abdou ZOURE

 


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L'auteur




17/10/2010
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