Le monde sans dieu Argent
LE MONDE SANS DIEU ARGENT
Que de bruits pour de simples cercles métalliques ! Que de tribulations, d’acrobaties, de souffrances, de peines, d’écorchures, de morsures, d’agacements, d’humiliations, de honte, de rabaissements, d’arrogance, d’orgueil, de vantardise pour de simples carrés de papier ! Des ronds en fer et des coupons de feuilles de papier, voilà ce qui mène le monde par le nez, voilà ce qui désagrège l’ « humanité. »
Ces ronds et ces carrés sont ce qu’on appelle autrement et couramment ‘argent’. L’argent, voilà ce derrière lequel le monde court comme une meute, un troupeau, un bataillon de buffles, d’éléphants, de phacochères, de rhinocéros, de tyrannosaures en déroute, piétinant humanité, morale, vertu…
Non ! Laboussoula était déterminé ! Il faut que cela finisse ! L’argent, cette créature devenue créatrice doit se « dé-déïfier », s’atrophier et disparaître.
Facile à dire. Le réaliser, c’est une autre pyramide de Ramsès à transporter sur le dos.
Le soir, il se coucha. Il était décidé à mener à bien son projet, quitte à faire lever le soleil au nord et à transformer en terre tropicale le pôle nord.
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…. Aujourd’hui est un grand jour. Laboussoula est prêt. Avec le soutien des membres, amis et sympathisants du Mouvement pour la Révolution du Monde (MOREMO). Ce mouvement, Laboussoula en était le créateur et le président. Il avait pour objectif principal : ramener la paix, la morale et la vertu dans le monde. Et pour obtenir cet œuf d’or, une lutte est menée contre certains fléaux, dont figure en premier lieu, l’argent, seigneur argent !
De tous les recoins du monde, des souscriptions l’ont rejoint au fin fond de sa brousse africaine. Alors un puissant réseau s’est tissé de par le monde comme une immense toile d’araignée et la machine purificatrice s’est mise en branle.
Comme il a été dit, ce jour est grandiose et inoubliable pour Laboussoula, car son pire ennemi allait mordre, dans quelques instants, la poussière dans cette immense salle de conférence de l’immeuble de l’Organisation des nations unies. Dans ce décor illuminé, tous les banquiers, les économistes, les acteurs des finances et autres jambes et bras de Monsieur Argent y étaient rassemblés.
D’un simple paysan pauvre d’une campagne ignorée, Laboussoula était devenu du jour au lendemain un grand de ce monde. N’est-ce pas que lutter contre dieu Argent était source de grandeur ? Il est à croire d’ailleurs que quoi qu’on fasse à son sujet, on s’en retrouvait récompensé, aussi bien en mal qu’en bien.
De toute manière, Monsieur Laboussoula était là ce soir bien pris dans un costume impeccable, un verre à la main et conversant cordialement avec le S.G de l’ONU et presque tous les présidents d’Etat du monde entier. Ce soir, ils allaient à l’unanimité signer l’arrêt de mort de MONIEUR ARGENT.
Au milieu de la salle, se trouvaient un immense container contenant tous les genres de billets de banque du monde et un four crématoire. Le condamné et son échafaud.
Sur un signal, les occupants de la pièce prirent place. Après un long discours, le SG de l’ONU dit ceci :
--- Avec l’assentiment des dirigeants de ce monde, représentants des peuples de cette planète et en vertu des pouvoirs qui me sont conférés, je déclare l’argent banni des vocabulaires, de la circulation et du monde entier. Que règnent la paix, la justice et la morale.
Le contenu du container fut transvasé dans le four. Les participants de ce solennel rassemblement s’attroupèrent autour. Un homme en livrée s’approcha avec un plateau en or, au centre duquel trônait, en forme de marteau, un tison de feu. Le représentant suprême de l’Organisation qui œuvre pour la paix dans le monde reprit la parole :
---Pour avoir eu l’initiative de ce grand et honorable acte, Monsieur Laboussoula, l’honneur vous revient de droit de terminer l’œuvre salvatrice commencée.
Emu aux larmes, Laboussoula prit le tison et solennellement, le mit dans le four qui s’embrasa instantanément. Son contenu, son Excellence Sérénissime et Seigneurial Argent, mourrait à « grand feu. » Laboussoula était comblé. Son plus grand rêve venait de se réaliser. Il pouvait maintenant dormir tranquille.
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Un petit mendiant. Karim était le model type de tous les mendiants d’Afrique. La crasse était sa seconde peau, les mouches, son honorable suite, les plaies, ses plus belles parures, les pieds nus, ses plus belles chaussures. Le bonnet, troué, rapiécé et suant l’insalubrité qui trône sur sa tête aux cheveux d’esclave noir américain et eldorado des plus gras poux du monde, était sa couronne. Son boubou, qui ressemble drôlement au treillis d’un soldat de la guerre des tranchées, a connu de plus beaux et lumineux jours. Quant à sa culotte, forteresse aux meurtrières innombrables, elle cachait tout, sauf l’essentiel.
Karim le petit mendiant avait reçu ce matin d’une âme charitable une piécette de 100 francs, « pour orner ta chambre », avait dit le donateur. Sur le moment, Karim n’avait pas compris ce que racontait le bonhomme, qui ne savait sans doute pas que le toit de sa chambre n’est autre que le ciel, que les néons sont les étoiles et que les murs sont inexistants. Et puis, il avait bien mieux à faire avec cette piécette que d’en décorer sa fameuse chambre !
Le ventre creux, Karim s’était dirigé donc vers une vendeuse de beignets.
---A combien vendez-vous un beignet ? demanda-t-il avec une mine de richard.
---Combien de beignets veux-tu ? Lui rétorqua la bonne dame.
---Je sais que ce que j’ai ne suffira pas pour en remplir mon ventre ingrat, mais au moins le un tiers. Combien coûtent dix beignets ?
---Tu peux te remplir le ventre rien qu’avec… euh… voyons, dit la femme en détaillant Karim. Bon, rien qu’avec ton bonnet ! conclu-t-elle avec un large sourire.
Le petit mendiant écarquilla des yeux incrédules. Ou bien cette femme était folle, ou bien elle se moquait de lui, croyant qu’il était incapable d’avoir le prix de dix beignets. Ce qui l’énerva.
---Madame ne me prenez pas pour un plaisantin, dit-il en exhibant ces fameux cent francs. Je suis capable de m’offrir tous les beignets de votre plat.
La vendeuse éclata de rire.
---Range ton ar… ce rond de fer sans valeur, petit et vas-t’en décorer ta chambre.
Karim était abasourdi. Il se fâcha pour de bon.
---J’ai l’impression que le monde se moque de ma culotte ! Depuis ce matin, ça fait deux fois qu’on me dit : range-le et vas en décorer ta chambre ! Quand-est-ce que vous allez savoir à la fin qu’un mendiant tel que moi n’a pas de chambre et que je ne peux pas faire de ma piécette un objet de décoration pour la bonne et pertinente raison que j’ai faim ?
---Calmes-toi mon enfant. Je vois que tu n’as pas appris l’annulation du poste de dieu Argent. L’argent n’existe plus, du moins il ne sert plus, pas plus qu’il ne dirige. Maintenant, on a plus besoin de lui pour acheter des habits, des chaussures, des bonnets, une chambre et… des beignets ! termina-t-elle avec un clin d’œil.
---Mais avec quoi alors ?
---Avec tout ce que tu possèdes en biens matériels, en connaissances intellectuelles ou religieuses.
---Donc je peux avoir mes beignets rien qu’avec mon pauvre bonnet ?
---Oui, mon enfant. Regardes, j’en ai vendu pour moins que ça : une épingle, une cuiller, une banane et même une chèvre !
---Et comment vas-tu faire pour recouvrer les dépenses que tu as faites pour l’achat des matériaux nécessaires à la préparation de tes beignets ?
---C’est simple ! Je peux échanger ma chèvre contre deux sacs de haricot et la cuiller contre deux ou trois litres d’huile !
---Alors là c’est formidable. Merci à celui qui a eu cette pieuse idée de supprimer l’argent de la circulation…
---… et même des vocabulaires. Alors…
---… je ne prononce plus son nom. Merci. Maintenant trêve de discours. Mes intestins parlent le swahili présentement !
*****
---Messieurs, vos bijoux sont là ! Contemplez-les ! Qualité, haute précision, sûreté sont leurs essentielles essences. En commençant du simple pistolet au bombardier, en passant par le char, c’est de la garantie pure. Admirez-les donc !
Les hommes en présence sous l’immense hangar de la ‘ARMY AND ARMEMENT EQUIPMENT COMPANY’ sont d’imminents fabricants et acheteurs d’armes et armement des Etats-Unis. Joliment classées, toutes les armes de dernière fabrication étaient entreposées, luisant de leur sinistre, macabre et funèbre éclat ; scintillant de leur funeste beauté, sous l’œil subjugué et émerveillé des clients.
Ils se promènent entre les rangs des objets de mort, les caressant des yeux et de la main, les cajolant, les flattant, les idolâtrant. Ils firent plusieurs tours, puis revinrent au centre de la salle.
---Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je pense que nous pouvons commencer les marchandages, Monsieur SMITH.
---Nous les avons déjà faits, Monsieur WESSON, avec votre patron. Il ne vous a rien dit ?
---Non, Monsieur SMITH, répondit WESSON embarrassé.
---J’en suis désolé. Les accords ont été conclus à un prix de quatre milliards d’oranges. Voici un exemplaire de la preuve des transactions, dit Monsieur SMITH en lui tendant un papier.
---Euh… , excusez-moi, s’éclaircit la gorge WESSON, s’agit-il de quatre milliards de balles ou d’oranges ?
---D’oranges, monsieur WESSON. Nous avons vu la marchandise, voici son équivalent.
Sur un claquement de doigt, trois énormes camions s’approchèrent, remplis à déborder d’oranges.
---Vous êtes satisfaits ? Alors dans ce cas, je pense que nous pouvons emballer.
---Mais… mais…
---Y aurait-il un problème, M. WESSON ?
---Ces oranges… ,dit l’interpellé en montrant plus qu’interdit les camions.
---Vous avez la preuve de notre bonne foi sous vos yeux. Alors je ne vois plus de problème.
Monsieur WESSON se tut et regarda embarquer les armes, hébété comme battu par une pluie diluvienne ou… comme un chien battu.
Quant tout fut fini et que tous repartirent, mister WESSON s’effondra sur une table.
---Eddie ?
---Oui, Monsieur WESSON ?
---Tu sais quoi ?
---Euh… , non, monsieur !
---Eh bien, fini !
--Fini ?… Mais quoi donc ?
---Fini les armes, fini les bombardiers, fini les chars, fini… fini les oranges. Je ferme boutique !
---Mais nous pouvons revendre ces oranges contre des armes et…
---Et revendre ces armes contre des cacahuètes ? Mais tu réfléchis un peu Eddie ? Non ! Je ferme… ou j’y pense : pourquoi pas concocter du jus d’orange et vendre contre de belles voitures ! Oui pourquoi pas en fin de compte ? C’est plus saint et moins macabre. Oui, pourquoi pas ?…
*****
Rue sombre. Rue poisseuse. Rue ténébreuse. Rue insalubre. Brrr est la rue préférée de Dame Saleté, dans l’étendue de toute son hygiénique insalubrité. Ses rejetons, insalubrité, déperdition, mœurs légères, morale enterrée six pieds sous terre s’y ébattaient funèbrement comme sangsues dans un lac de sang sombre. Brrr, rue où les pratiquantes du plus vieux métier du monde ont implanté leur QG (quartier général). Brrr, rue où tous les gens en quête de sensations fortes et de « déchargement » se dirigent. Brrr, rue de débauche.
Mais ce soir, Brrr connaît une grande agitation. Des portes se ferment avec fracas. Des rires. Des cris, des appels joyeux. Contraste avec ce lieu sinistre. Des femmes, des filles de tout acabit qui s’empressent vers la grande rue, la lumière. Brrr connaît ce soir une animation inhabituelle.
Martin faisait partie des habitués de Brrr où il venait délivrer de temps à autre son cœur des lourdes charges de la vie, dans les bras de son habituée, Charline. Mais il est intrigué ce soir par ce qui se passe dans cette rue, d’habitude plongée dans un calme poisseux.
Tant bien que mal, il arrive devant la « boutique » de Charline, qui s’apprêtait visiblement à sortir, avec sa petite valise en main et son petit sac à l’épaule. Elle était en train de refermer sa porte.
---Où vas-tu ? lui demanda-t-il
---Mais loin d’ici ! Comme tout le monde ici d’ailleurs !
---Pourquoi ? Comment ?
---Parce que le monde a changé et est redevenu normal. Il est demandé aux prostituées de venir en ville pour leur offrir du travail.
---Mais tu n’en as plus besoin !
---Pourquoi ? demanda-t-elle surprise.
---Regarde !
Il lui montra une mallette qu’il ouvrit.
---Des milliards de billets de banque, rien que pour toi. J’en ai cinq autres comme ça chez moi. Et comme je te connais depuis longtemps, j’ai tenu à te l’offrir. C’est fou comme la chance peut vachement vous sourire : ces males, je les ai découvertes dans une poubelle.
Charline éclata d’un rire incontrôlable que Martin ne savait comment interpréter. Enfin, elle réussit à se calmer.
---Mais mon cher, comme je te plains !
---Et je peux savoir pourquoi ? demanda le jeune homme dépité.
---Parce que tes billets n’ont plus aucune valeur.
---Ils sont faux ?
---Dieu, non ! Je veux dire par-là que l’argent n’existe plus. Coupé de la circulation. Fini. Terminus. Couic !
---Quoi ?
---L’argent n’est plus un moyen d’échange !
---Et comment ?
---Va le savoir.
---Et que veux-tu pour le passe-passe de ce soir, car je suis très… tu vois ce que je veux dire ?
---Oui, je vois. Mais ce soir, c’est non et pour toujours.
---Co…co… comment ?
---Comme ça ! C’est fini. Si tu as besoin de sexe, débrouilles-toi ailleurs ou maries-toi. Quoi qu’il en soit, ne comptes plus sur moi pour marchander le mien, ni sur aucune autre d’ailleurs, car nous allons toutes travailler maintenant et gagner sainement notre vie. Adieu.
Elle s’en fut et se noya dans la marrée des prostituées qui coulait vers la lumière, sous le regard ahuri de Martin, laissant retomber son bras et le contenu de la mallette s’en fut au gré du vent frais qui se levait sur Brrr, la rue qui était sale…
*****
---Voici du bois ! Du bon bois bien mort ! Du bois rare et sec ! Qui veut du bois ?
Un âne squelettique aux oreilles couvertes de plaies, attelé à une lourde charrette chargée à mort de bois mort, un vieil homme en hardes et suant à grosses gouttes. Voici d’où venait cette proposition criée à gorge déployée.
---Du bois mort ! Qui veut du bois mort ?
L’attelage et son propriétaire, Talgbiiga (fils du pauvre) passa devant la belle et richissime villa de Rakanrbiiga (fils du riche). Celui-ci était justement devant sa concession dans un riche boubou Bazin brodé de fils d’or d’une blancheur d’ange, à côté d’une Limousine de la même couleur. Un chauffeur était arrêté tout proche.
Rakanrbiiga retroussa les manches amples de son boubou d’un geste non moins ample. Il regarda le pauvre vendeur de bois avec un air de la plus haute arrogance. « Ces gens empoisonnent la vie des ‘gens’ » se dit-il agacé, apparemment sans cause valable.
---Qui veut du bois ? Du rare bois bien mort ? Qui veut…
---… l’anus poreux de ton arrière-grand-père ? compléta Rakanrbiiga avec une grossièreté à primer d’un Oscar !
Talgbiiga ne dit rien et fit aussi bien le sourd-muet que l’imbécile.
---Du bon bois ! Qui veut …?
---…les testicules noirs, puant la musaraigne et le putois de ton futur petit-fils ?
Le partisan de « le pauvre a toujours tort » ne dit toujours rien.
---Qui veut… ?
---…le…
---Patron ?
---Qu’est-ce qu’il y a ? gronda Rakanrbiiga en se retournant furieusement vers la doyenne de ses serviteurs, auteur de l’appel.
---Nous n’avons plus de bois, le gaz est introuvable dans tout le pays, de même que le…. Oh ! Mais c’est un don du ciel ! s’exclama la dame en voyant la charrette de bois. Je décharge patron ?
---Décharger quoi ?
---Mais le bois !
---Il n’en est pas question !
---Mais les invités, la fête, votre mariage ? N’oubliez pas que c’est votre dernière chance de vous marier, d’avoir des enfants qui seront héritiers de vos immenses avoirs. Le marabout de la Mecque l’a formellement précisé. Alors quoi ? Qu’attendez-vous ? Vous voyez, les gens s’empressent pour venir acheter ce bois. C’est le seul je vous dis ! Dite-lui rapidement !
Rakanrbiiga était troublé. Quelle fâcheuse situation ! Le paysan allait sûrement se venger. Les gens s’approchaient aussi de celui-ci, visiblement pour s’approprier de la chose précieuse. Sûrement qu’il allait le vendre à un prix à vous arracher les yeux de la tête ! Mais étant le plus riche de tous ces minables, il l’emportera. Le richard tenait vraiment à ce mariage. Passer 50 ans de sa vie sans avoir de femme, malgré sa richesse et avoir aujourd’hui la chance de le faire et la perdre pour une ridicule question d’orgueil ne le tentait pas du tout ! Il était prêt à tout !
---hé, le charretier !
Celui-ci se retourna
---Je veux ton bois. Combien le vends-tu ?
---Fixe ton prix, j’aviserai, dit le pauvre.
---Je t’en propose dix mille.
---Aurais-tu oublié que l’argent n’existe plus ? Demanda d’une voix mielleuse Talgbiiga.
---Oui, effectivement. Je te donne trois pagnes.
---Rajoute.
---C’est du vol !
---Hé vous autres ! Approchez ! Venez voir du bon bois mort !
---Arrête voyons ! Nous n’avons pas fini !
---C’est assez de m’insulter. Traiter de vol ce que j’ai acquis à la sueur de mes bras, c’en est trop !
---Mais écoute, dit Rakanrbiiga amadoué. Je plaisantais. Ceci est de mise dans les règles du marchandage. Hum, ça va ? !. Que veux-tu que j’ajoute aux trois pagnes ?
---Mmmmm, fit Talgbiiga en se frottant malicieusement la barbe. Compte tenu de l’enjeu, de ta pauvreté minuscule et de mon immense dénuement, je fixe mon prix à ta voiture, ton boubou, ta villa et leur contenu, et … ta femme !
Rakanrbiiga faillit s’étrangler de rage. Ce pauvret profitait de la situation.
---Mais… mais…tu es…
---Pas d’insultes mon ami, dit le pauvre d’un air humble avec des yeux brillant de malice contenue. C’est la règle des marchandages. Tu l’as toi-même dit. Alors je propose et on discute. Que penses-tu de mon prix ?
---Fais un rabais, se domina le richard.
---Combien ?
---Mets de côté la femme. C’est un humain et n’a pas de valeur marchande.
---Mmmm, demande moins…
De rabais en rabais, ils arrivèrent à ce prix : la Limousine et son contenu (cinq balles de tissu et autres riches cadeaux de mariage), le boubou, la villa, ses meubles et les serviteurs, sans cependant la future épouse ! Le marché fut conclu. Rakanrbiiga déménagea ainsi que Talgbiiga. Celui-ci s’installa dans sa nouvelle propriété gagnée à la sueur de ses bras, avec sa famille et Rakanrbiiga partit pour une direction inconnue, occuper une autre propriété, non moins riche que celle perdue, selon les rumeurs. Q’est devenu le pauvre et qu’est devenu le riche ? Le monde sans dieu Argent…
*****
---Ah ! Bonjour monsieur Labousssoula !
---Bonjour coiffeur !
---Vous venez vous coiffer ?
---Oui. Ces cheveux me font mal à la tête ! Peux-tu m’en débarrasser ?
---Mais sûrement ! Venez, asseyez-vous là ! Voiiilà !
Le coiffeur entreprit son sacerdoce avec tout le sérieux du monde.
---Vous savez quoi, monsieur Laboussoula ?
---Oui ?
---Vous avez fait quelque chose de grand pour le monde en révoquant l’ar… le destructeur de ce monde. Nous ne saurons comment vous remercier.
---Remerciez-vous vous-mêmes car si vous n’étiez pas d’accord avec moi, rien n’aurait été fait.
---C’est vrai, mais vous avez la médaille ! Voiiilà ! C’est fini, monsieur Laboussoula ! Vous voiiiilà beau à l’image de l’ange qui nous a sauvé du joug de dieu argent !
---Merci, coiffeur ! Qu’est-ce que je vous dois ?
---Euh… voilà, pratiquement rien du tout !, dit le coiffeur en détaillant avec un œil gourmand Laboussoula.
---Mais quoi donc ? demanda celui-ci avec un certain malaise au creux du ventre.
---Un tout petit quelque chose de vous !
---Mais dite, s’impatienta le chasseur de dieu argent avec un soupçon d’agacement dans la voix, un mauvais pressentiment trottinant tout au long de sa colonne vertébrale.
---Votre…
---Mon…
---Votre corps !
---Comment ?!?!?!!!
---Voiiilà ! J’ai envie de votre corps, votre beau et sublime corps. J’ai envie de le découvrir, de le caresser, de le contempler !
---Mais, coiffeur, ça ne va pas dans votre tête ?
---O que si ! C’est le prix que je demande pour le travail que j’ai fourni. C’est la nouvelle donne non ? Voiiilà ! On travaille maintenant en échange de ce que l’autre possède comme bien. Alors j’ai coiffé votre tête et réclame comme dû de passer un quart d’heure de jambes en l’air avec vous ! Si vous n’êtes pas d’accord, rendez-moi l’énergie que j’ai dépensée pour vous enlever les cheveux !… Voilà !
Laboussoula s’épongea fiévreusement le front.
---Bon, d’accord, dit-il. Je sors et reviens tout de suite avec votre… votre énergie !
Laboussoula prit ses jambes à son cou ! Poursuivi par le coiffeur…postillonnant des « voilà ! » et des »voiiilà » !
*****
---Tiens tiens ! Qui est-ce que je vois ? Monsieur Laboussoula !
Laboussoula leva la tête et fit face à la plus extraordinaire et effrayante créature de sa vie : une boule couverte de pièces d’argent au milieu de laquelle cohabitaient deux grosses pièces de un dollar, trônait sur quelque chose qui ressemblait à un buste, tapissé de billets de banque divers. De sous ce tapis rocambolesque émergeaient quatre segments métalliques : deux en haut, semblables à des bras et deux en bas en forme de jambes. L’ensemble de cet être sorti du pays de l’imagination brillait d’un éclat incroyable sous le soleil d’avril. Laboussoula cligna des yeux.
---A qui ai-je affaire ? Demanda-t-il, maître de lui.
La créature éclata d’un rire cristallin, bien qu’aucune bouche n’apparaisse sur la face de pièces d’argent.
---Monsieur Laboussoula ne sait pas à qui il a affaire ! Ah ah ! Je suis celui qui régulait ce monde. C’est moi qui jouissais d’une célébrité illimitée, c’est moi qui tirais sur les ficelles des marionnettes qu’on appelle peuples de cette planète, c’est moi qui régnais sur cette terre au point qu’on m’a collé la minable étiquette de ‘dieu Argent’. C’est moi qui étais le tout puissant ici, jusqu’au jour où vous avez eu la machiavélique idée de me mettre sur l’échafaud, de m’humilier devant mes sujets. Je suis l’Argent !
Laboussoula se frotta les yeux.
---Rassurez-vous, Monsieur Laboussoula, vous ne rêvez pas. Je suis venu pour que nous réglions nos comptes d’homme à homme.
---Etes-vous sûr que vous êtes un « homme » ? demanda Laboussoula avec un sourire ironique, bien que son cœur battait tous les tambours de l’Afrique ! Vous devriez dire d’homme à chose !
---Peu importe. Passons aux choses sérieuses…
---Comme vous !
La créature esquissa un mouvement d’impatience.
---Comme je l’ai dit, vous vous êtes donné un mal fou pour rien. N’allez pas loin et prenez en exemple ce qui s’est passé avec votre coiffeur. Vous n’irez pas loin sans moi, l’argent.
---C’est ce que vous croyez ? Eh bien, figurez-vous que j’ai commencé et n’ai pas l’intention de m’arrêter en si bon chemin.
---Hum, c’est ce qu’on verra. Figurez-vous aussi que les hommes n’ont jamais été parfaits. Entre la bête et l’agneau qui cohabitent dans leur cœur, la première tend à dévorer la seconde et à occuper l’espace hospitalier. L’argent, ce n’est peut être que l’avant-goût d’un succulent et funeste dîner, le spot publicitaire d’une funèbre soirée dansante avec un macabre musicien pas encore célèbre. Qui sait, peut-être que le pire vient après moi. Le monstrueux sous la forme de la beauté et de la vertu vient… vient… vient…
*****
---vient…vient… vient…vient… vient… !
--- Non ! NON ! RIEN NE VIENDRA ! RIEN ! RIEN !
---Qu’est-ce que tu as Laboussoula ? Laboussoula ! Réveille-toi !
Laboussoula se réveilla effectivement et regarda d’un air hébété les briques en banco de sa case, puis sa femme.
---Il est parti ? posa-t-il en cherchant des yeux tout autour de lui.
---Mais qui ? lui demanda sa femme qui ne comprenait pas du tout.
---L’argent.
---Pardon ?
---L’argent que j’ai fait tuer, que j’ai fait bannir du monde et qui m’est apparu il y a quelques instants… et qu’est-ce que je fais ici ?
---Mais il n’y a pas d’argent que tu ais fait bannir que je sache et ici c’est ta chambre, et tu ferais mieux de te lever et de te préparer pour aller au champ, car le soleil s’est levé sur le monde, au lieu de débiter des sornettes !
Laboussoula retomba sur son lit.
---O ! Mon Dieu !