Les Nouvelles de Zouré

Les Nouvelles de Zouré

LA NUIT N'EST PAS ETERNELLE

- Nongbiiga, tu sors de ce grenier où tu veux y élire domicile !

- Euh papa, il y a un problème !

- Quel problème ? Je t’ai demandé de me donner quatre bassines de sorgho rouge et non des problèmes !

- Justement ! Il n y a plus qu’une demi  bassine de sorgho rouge. Et c’est ça le problème !

- Que dis-tu ?

Le vieux paysan à la chevelure blanchie précipita, soulevant un pan de son boubou, sa tête dans le grenier. Dans ladite précipitation, son bras cogna le bois qui soutenait un côté de la coiffe du grenier soulevée afin de laisser un espace pour accéder à l’intérieur du grenier sur pilotis. Ce bois décrocha donc et la coiffe se rabattit, laissant enfermant une partie du paysan dans le grenier.

Il poussa un juron.

- Nom d’un âne rabougris, satanée coiffe de grenier, satané grenier ! Satané enfant, qu’attends-tu pour soulever ce truc qui me tue ? Où attends-tu ma mort pour pouvoir profiter de mes biens ? Tu  ne perds jamais rien pour attendre ! Quand tu auras mes pauvres godasses et mes boubous déchirés comme héritage, tu seras bien heureux ! Ah, enfin, je respire !

En effet, l’enfant s’était arc-bouté sur le dessus de la coiffe et l’avait relevée. Le vieux paysan put donc se dégager. Mais il ne songea pas à remettre le bois entre la tresse de paille surélevée et le bord du grenier. Il s’occupa d’abord à s’épousseter tout en rouspétant :

- Regardez comment ce con de grenier m’a égratigné ! Sois maudit avec tous tes ancêtres !

- Pa-pa ! S’il v-vous plaît ! Mettez le b-b-bois ! Je suis fatigué !

- Meurs si tu veux ! N’est-ce pas à cause de toi que tout ceci m’arrive ce matin ? Satanée école ! Satanés frais de scolarité ! Satanés de satanés d’arrière grands parents de satanées maigres récoltes ! Ce satané enfant a dit vrai. Il n’y a plus un seul grain dans ce grenier ! Comment je fais ? Et les fournitures de ces cinq enfants à payer. Bon Dieu, que vais-je faire ?

En monologuant ainsi, le paysan s’était éloigné du grenier. L’adolescent de 14 ans, épuisé, ne put que succomber sous le poids de la grande coiffe qui retomba et l’emprisonna. Il poussa un cri de désespoir.  Son père, comme réveillé sous une douche froide, revint en courant vers son fils. Il souleva la coiffe et en fit sortir  l’enfant.

Le soir, après le repas, maigre, le vieil homme s’adressa en ces termes  à ses cinq enfants, dont l’aîné et le benjamin avaient respectivement 14 ans et 7 ans, rassemblés autour de leur mère :

- Mes chers enfants, j’ai en face de  moi aujourd’hui un problème fort granitique. La rentrée, c’est dans une semaine. Mais je n’ai rien pour vous payer vos frais de scolarité. Je me reposais sur le grenier pour le faire. Mais il est vide à ce jour.

- Vide ? demanda la maman. Mais il y a un mois à peine, quand tu es rentré pour me donner la ration, il était à moitié plein !

-  Des termines en ont rongé la moitié !

C’était donc pour cela que jurait le vieux lorsque la coiffe de la case est tombée sur son buste. Il était abattu et n’avait pas voulu le montrer devant son fils. Il avait alors improvisé. Il reprit son discours.

- Nous n’avons pas de bête de somme. Vous savez que j’ai quelle chance j’ai avec l’élevage et qui me permet que, sur vingt œufs que couve une poule, un seul éclos d’un poussin sans plume ! Alors, c’est la honte !

- J’ai peut-être une solution qui peut nous éviter cette honte !

- Laquelle, mère de mes enfants ?

- Va demander de l’aide à ton frère, directeur de banque, qui est en ville.

Idée qui fut mise à exécution le lendemain. Le vieux paysan enfourcha son vélo et l’après-midi, il attendait sagement sur la terrasse de son frère. La femme de ce dernier n’a pas daigné lui montrer l’entrée de son salon et a à peine voulut lui donner à boire.

Les enfants de son frère, ses neveux, rentrèrent bientôt de leurs cours de vacances. Ils descendirent du véhicule qui les a amenés.

- Bonne arrivée mes chers neveux ! Venez dire bonsoir à votre tonton !

Ces derniers regardèrent d’un air bizarroïde leur « tonton » et firent un large détour pour éviter d’entrer dans la surface de réparation de celui-ci. Il secoua la tête. Leur père ne tarda pas à arriver. Dès qu’il descendit du véhicule :

- Pousbila, que fais-tu là ?

- Demande-moi d’abord si je suis bien arrivé ?

- J’allais le faire. Mais je t’ai posé cette question pour voir si tu n’apportais pas de mauvaise nouvelle !

- Parce que je ressemble à un vautour qui véhicule les nouvelles de la mort ?

- Non. Ce n’est pas ça. Comment va la famille ? Dis-moi vite pourquoi tu es venu, mon chauffeur va ensuite te raccompagner au village car je dois recevoir d’un moment à l’autre des invités de haute marque.

Pousbila se leva.

- Je crois que je suis décidément un charognard. Au revoir Noaga. Inutile de me raccompagner !

Pousbila avait déjà atteint la porte lorsque son frère le rejoignit.

- Dis-moi  au moins pourquoi tu es venu !

- Je venais juste m’enquérir de ta santé et de celle de ta famille. Je vois que vous allez bien. Je peux maintenant retourner chez moi et dormir tranquillement.

Malgré les protestations de son frère, Pousbila s’en fut. Il dormit sous un arbre et le lendemain, il rentrait au village. Les mains vides.

Il  réunit sa famille une fois de plus.

- Mes chers enfants, votre oncle a aussi ses problèmes. Nous ne pouvons lui imposer, en plus, les nôtres. Essayons de trouver des solutions nous-mêmes à nos difficultés. Je ne peux que régler la scolarité de deux personnes avec le prix de la vente du restant de sorgho rouge. Je crois que ce sera celle des deux lycéens : Nongbiiga et Baarkbiiga. Pour les trois autres, je vais essayer de négocier avec les maîtres jusqu’à la prochaine récolte. Je…

- Papa, dit gravement Nongbiiga. J’ai pu atteindre la classe de 4e. Avec ce niveau, je peux facilement trouver du travail en ville.

- Il n’en est pas question !

- Papa, sois réaliste ! Tu vendras toute notre réserve de nourriture et tu ne réussiras qu’à inscrire deux de tes cinq enfants. Mais pour bien apprendre, il faut bien manger ! Le sorgho vendu, que mangerons-nous jusqu’à la prochaine récolte ? Laisse-moi  aller en ville. J’y trouverai du travail. Je vous aiderai ensuite et vous n’aurez plus à vendre votre récolte pour l’école. Aucun frère ne vous manquera non plus de respect. Et je suivrai des cours du soir.

Nongbiiga entra dans sa case et ressortit avec un sac.

 -  Papa, aie confiance. La nuit n’est pas éternelle. Notre misère non plus.

Et il partit.

 

Abdou ZOURE



26/10/2010
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