Les Nouvelles de Zouré

Les Nouvelles de Zouré

Elle m’a honni

J’adorais séduire mes élèves. Elles étaient rares, en cinq années d’enseignement, les filles que j’ai enseignées, qui n’ont pas connu la couleur de mon dessus de lit. Noires, rondes, plates, courtes, longues, claires, rouges, idiotes, intelligentes, belles, laides, modernes, villageoises… J’ai connu toutes les catégories. Je suis jeune, beau, élégant, spirituel, intelligent et j’en imposais dans mes classes. Ajouté mon argent, les arguments étaient donc nombreux pour faire fléchir, même les plus récalcitrantes.

Mon tableau de chasse était nourri. Je m’en enorgueillissais auprès de mes amis qui faisaient mes éloges. Mais ce n’était que de prétendus amis. Il n’y en avait qu’un parmi tous ces gens  à me mettre en garde. Justin me disait toujours, lorsqu’on parlait de mes exploits :

- Salif, fais attention. D’un, déontologiquement et professionnellement, tu es en infraction. De deux, en tant qu’enseignant, tu dois t’attacher à l’éducation et l’épanouissement de tes élèves. Mais que fais-tu ? Les dépraver.  C’est vrai que, pour l’instant, tu te protèges et leur évite grossesse et Sida. Mais sais-tu quel autre problème peut-il t’arriver ?

Mais chaque fois, moi et les autres amis, nous le houspillons, le taxant de peureux.

Et je continuai de faire tomber mes proies.

Et un jour, je tombai sur une nième. La plus coriace. Et la dernière…

Cela a commencé un jour ordinaire. C’était en début d’année. Le censeur l’amena, pendant mon heure de cours. Dès qu’elle entra, tout autour de moi n’existait plus. Tous mes sens se focalisèrent sur elle. Belle, elle l’était. Je ne pourrai pas la décrire. On ne décrit pas la perfection.

Je la fis donc assoir à la première place. Je demandai son nom.

- Sonia.

Un nom aussi mélodieux que sa gracieuse silhouette. Ajouté à son air innocent, mon cœur battit plus vite. Sur le champ, j’établis mon plan d’attaque. Le cours finit, je lui demandai de me rejoindre dans mon bureau.

Elle vint.

- Bonjour, Sonia. Tu sais …

- Oui, je sais que je vous plais. Je sais aussi que vous rêvez déjà éveillé de moi. Et je vous dis que vous ne savez pas que j’ai craquée dès que je vous ai vu. Vous me plaisez et il me tarde de vous rencontrer au lieu de rendez-vous que vous me fixez ce soir, n’est-ce pas ?

Mon grand-père aimait à me dire d’éviter de bondir sur un poisson qui nage, le ventre en l’air, sur l’eau. Car c’est un poisson pourri. Et Sonia ressemblait plutôt  à un requin femelle. Je décidai néanmoins de la croquer, tout en restant prudent.

Notre rendez-vous eut pour lieu un cadre discret. Je pris une table séparée de toutes les autres. Notre conversation commença. Elle dura une heure. Puis, on se sépara. Sonia m’avait convaincu que le lendemain soir, elle serra dans mon lit.

Le lendemain, mon cours débutait à 9h en 5e, la classe où se trouve Sonia. A l’heure dite, je me présentai. Je trouvai un poste radio sur mon bureau.

- Qu’est-ce que c’est que cet affreux truc sur mon bureau ?

Toute la classe répondit :

- C’est Sonia !

Je lançai  un regard sévère vers cette dernière.

- Que pouvez-vous dire pour votre défense, mademoiselle ?

Elle se leva avec son visage candide.

- Monsieur, en tant que professeur de français, vous nous aviez dit de choisir notre métier dès maintenant et de vous faire parvenir nos motivations. Les camarades vous les ont envoyées à travers des enveloppes. Moi, j’ai décidé d’être journaliste. Alors, j’ai fait une interview et je veux la faire écouter par vous, la classe et monsieur le proviseur !

- Exact, dit une voix au fond de la classe, celle du proviseur que je n’avais pas encore remarqué. J’ai voulu entendre moi-même cette interview. Et j’ai convié, afin que les jeunes talents de notre fier établissement soient détectés et valorisés, le rédacteur en chef du plus grand quotidien de notre pays.

Un autre monsieur se leva.

- Il a bien voulu consacrer un peu de temps à nous. Ah, voici aussi le censeur, qui vient juste d’arriver.

Ce dernier entrait en effet.

- Je crois qu’on peut commencer, monsieur Salif !

J’invitai, surpris outre mesure, Sonia et je m’assis à sa place pendant qu’elle rejoignait mon bureau. Là, elle fit face à l’assemblée et parla :

- Merci de m’accorder cet instant qui, j’en suis sûr, ne sera pas du gâchis pour vous. Voilà, mon interview porte sur un sujet d’actualité dans les écoles, lycées et collèges de notre pays. Et la personne, très outillée pour parler de ce sujet, est une personnalité que connaissez très-bien. Mais sans plus tarder, écoutez plutôt.

Elle mit le magnétophone en marche.

- Comment vas-tu Sonia ?

- Bien, monsieur Salif.

- Belle cette soirée, n’est-ce pas ?

- Oui.

- Belle comme toi. Comme tu l’as deviné, j’ai craqué sur toi…

- Vous êtes amoureux de moi ?

- Euh, pas exactement. Ou plutôt si. Je suis amoureux de ta belle bouche, de tes belles formes et comme tu l’as dit, je rêve de toi dans mon lit.

- Mais vous êtes mon professeur.

- Et alors ? Y a-t-il une interdiction à cela ?

- Si. La déontologie.

- Et la déontologie dit peut-être que je ne dois pas me marier ?

- Mais vous avez dit que vous n’êtes pas amoureux de moi mais de mes formes.

- Exactement. Et si tu acceptes, j’ai de l’argent. J’ai aussi de belles notes pleines dans mon stylo rouge et elles n’attendent que tes copient pour s’y prélasser.

- Mais si on nous surprend ?

- Personne ne nous surprendra. Et même si c’était le cas, votre vilain proviseur ne pourrait rien faire contre moi. Il est  bien trop bête et bedonnant pour cela.

- Et si je tombe enceinte ? Si j’attrape le Sida, mes études seront fichues !

- Compte sur moi, tu n’auras rien de tout cela ! Les entreprises ne fabriquent pas les capotes pour les souris !

- Et…

- Et quoi encore ? Je pensais que tout était réglé ce matin ?

- Oui, justement, si je refuse ?

- Alors, tu ne pourras pas refuser. J’en ai connu des plus dures que toi. Et toutes mes élèves à qui je me suis intéressé ne m’ont pas résisté. Et si tu t’amuses à le faire, tu auras alors affaire à moi, mon bébé ! Tu iras continuer tes études au village !

Le maudit bidule de radio s’arrêta. La voix du proviseur retentit :

- Mon Salif, le vilain, bedonnant et bête proviseur vous dit que vous enseignerez dès cette heure en brousse et vos élèves seront des ânesses. Avec tous mes encouragements !

 

Abdou ZOURE



28/02/2011
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