Les Nouvelles de Zouré

Les Nouvelles de Zouré

Ecoutez, entendez !

ENTENDEZ ! ECOUTEZ !

 

 

 

             Entendez ! Ecoutez ! Je  vous parle. Je  suis moi, toi, lui, nous, vous, eux. Je  suis  rien. Je  suis  tout. Je  sais  tout  et  j’ai  tout  vu. Entendez ! Ecoutez ! Elles  sont  deux. Elles  ont  été  déchirées, meurtries, tuées, assassinées. L’une  à  court  terme  et  l’autre  à long  terme. Entendez ! Ecoutez ! et  réagissez nom de Dieu ! J’étais là…

Un  jour  où  l’homme  créa  la  femme, M’manilaboumbî  Bom mabâni   et  kassougourouba Mâni sougouri  furent  conduites devant  elle. ELLE ! Edentée, maigre, les  yeux  rouges, la  peau  en  bouillie  vieille  de  dix  jours, le  rictus  démoniaque, le  sourire  infernal, la  voix  caverneuse  aux  grondement et  suintement dégoûtants, frigorifiant. Telle  LA  voyaient  les  deux  petites  fillettes  de  cinq  ans.

La  nuit  obscure, opaque  et  ténébreuse  était  sombre. Seule  une  lampe  tamisait  l’opacité  de  cette  noire  scène. Les  deux  mères  étaient  là, avec  le  consentement  de  leurs  maris  instruits  et  instruisant  sur  les  conséquences  funèbres  et  macabres  de  cet  acte qui  ressemble  tant  à  des  funérailles  anticipées.

Les  mères  attrapèrent  leurs  filles, consentirent, encouragèrent, aidèrent, participèrent  à  l’acte  odieux, au  meurtre.

La  vieille, sorcière  aux  yeux  des  pauvres  éplorées  et  messie  devant  le  tribunal  qu’est  la  conscience  des   géniteurs, « attrapa  ce  qu’il  y a à  attraper, coupa  ce  qu’il  y a  à  couper  et  jeta  ce  qu’il  y a  à  jeter. »

Le  sang  gicla, coula, roula, ronfla  et  se  brisa  en  vagues  écumeuses et  chaudes  entre  les jambes  enfantines  écartelées. Leurs  cris  devinrent tonnerres  et  grondements  et  leurs  larmes  mugirent  en fleuves  en  crue.

Le  fleuve  sanglant  de  Mâni sougouri  s’arrêta. Mais  celui  de  M’manilaboumbî Bom mabâni coula, coula, coula. Coula  fort  et  trop. Son  lac  nourricier  s’arrêta. Et  avec lui, la  jeune  fleur  qu’est  sa  jeune  vie  se  flétrit, se  fana, mourut. Une  vie  mourut. Des  vies  et  des  vies  s’en  furent. Une  génération  partit. Un  espoir  et une  espérance  se  couchèrent, fauchés  à  la  racine. Et  par  qui ?

Des  larmes  coulèrent  encore. Larmes  de  peine, de  détresse, de  remords ? Sans  conteste, ce  sont  plutôt  des  larmes  d’hypocrisie, de  joie, de  jouissance, de  satisfaction.

M’ai  avis  que  je  n’ai  jamais  vu  boucher  pleurer  la  mort de  sa  victime, après  qu’on  l’ai  bien  prévenu  que  son  couteau  appellerait la  mort  s’il  tranchait  la  gorge  de  l’animal.

Entendez ! Ecoutez ! J’étais  là ! Et  croyez-moi, ce n’était  pas  appétissant !

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J’étais  encore  là.

 

Cinq mille quatre  cent  soixante quinze  jours (5475) plus tard. Mani sougouri  Kassougourouba  a  vingt ans. Elle  a  un  compagnon pour la vie. Chaque  nuit  est  aussi  pénible  pour  elle  que  cent jours  et  nuits  passés  dans un four  en  acier  chauffé  à  cinq  cent degrés  Celsius. Aussi  éprouvante qu’attelée  à  cinquante  charrues  de  trente  tonnes  chacune  à  labourer  un  sol  trempé  et  boueux. Aussi  déplaisante  que  de  passer mille  ans  à  huis  clos avec pour  compagnons  une  musaraigne, un  putois, une  tortue et  un  âne. Ce  qui  fait la  joie  des jeunes filles  et  des  femmes « ordinaires » était un  deuil  pour  elle. Ses  compagnes, au  bureau, au  restaurant ou  n’importe quel  endroit  propice  à  ce  genre  de  confidences,  parlaient  de  leurs  ébats  nocturnes en  gloussant  et  se  tapant  sur  la  cuisse….mais  pas elle. Elle  entendait  la  même  chose  à  la  télé, à  la radio, dans  les  journaux  féminins, mais  elle, elle  y  était  étrangère ; une  Martienne  sur  terre. Les  rapports  sexuels  étaient  une  exécution  quotidienne  à  la  chaise  électrique  pour  la  jeune  femme. Cela a duré un  an, jour  pour  jour.

Aujourd’hui, Kassougourouba est  à  l’hôpital. Ses  entrailles  fertiles ont  couvé  la  bonne  semence  et  elle  est prête  à  faire  les  récoltes. Mais…elles  sont  laborieuses, ces  récoltes, dures, douloureuses, difficiles, déchirantes, assassinantes ; écartelant, meurtrissant, anéantissant.

Les  contractions  sont  autant  de  tenailles  impitoyables  qui  pressent, compriment, meurtrissent  ses  côtes, sa  poitrine, son  ventre, ses  reins, son  cerveau, son  cœur ; tout  son  corps  est  supplicié.

 

Elle  crie, gémit, appelle, se  cramponne, étreint, griffe  pour  se  soulager. Mais  rien. La  douleur  est  là, enfle, augmente, arrive  à son  paroxysme. On  lui  dit  de  pousser. Elle  pousse. Pousse. Hahane. Grogne. Grommele. Gémit.

 

Au  fond  d’elle, elle  sent. L’être, l’enfant  bouge, cherche, fouille, farfouille, piétine, cogne  voulant  trouver  la  voie de la  vie. Le  lit  liquide  se  déchire ; il  trouve enfin  le  sas, la  sortie. Enfin. Mais …elle  est  étroite.

Il pousse  de  la  tête. Sa mère  pousse  du  ventre. Il  pousse  du  dedans. Sa mère  pousse  du  tréfonds  d’elle-même. Sa  tête  enfantine, presque  diaphane, palpe  déjà  l’air. Mais  sa  poitrine  reste  coincée. Il  suffoque  sous  le  sang de  sa mère  qui  pleuvine, pleut, en  trombes, averse. Le  temps  se  suspendit  un  temps. Le  silence  se  figea  en  silence. Les  bruits  se  turent  et  ne  firent  plus  de bruit. Le  monde  attendait…mais  pas  longtemps.

Cela  dura  un  instant. Un  temps. Une  éternité. Une  éternité  animale, végétale, humaine, spirituelle, divine.

Enfin, l’extraterrestre  sortit  complètement  de  son  vaisseau, après  avoir  tourné  en  orbite  pendant  neuf  mois.

Il  ne  pleura  pas.

La  jeune  mère  poussa  un  premier  soupir. L’enfant  remua un  orteil et  s’immobilisa. La  mère  poussa  un  second  soupir et se  tut. Respectivement, à  jamais, à  jamais. A JAMAIS.

J’étais  là.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                           Abdou Zouré



04/10/2010
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