Les Nouvelles de Zouré

Les Nouvelles de Zouré

Concurrence déloyale

 

La session est finie. La vraie session commence : l’attente. Elle est plus épuisante et surtout plus angoissante.

 

Assis dans une chaise, à deux pas de la porte de ma bicoque, écoutant distraitement une radio cabossée, je soliloquais. « Si je gagne  10,5 sur 20 dans cette matière et 11,5 sur 20 dans l’autre, ça va combler le trou laissé par ce devoir où le professeur a eu la bonne idée de me donner 8 ! Non, c’est pas sûr ! J’ai pas bossé dans ces matières-là ! Et puis les profs sont trop pingres en note ! Si seulement je pouvais avoir 15 dans la matière du prof Zoétaba, ça me ferait du bien.

 

Hélas ! Ce prof est trop cher ! Personne n’a jamais pu avoir plus de 13 sur 20 avec lui ! Hé, le congrès me tend les bras seulement ! »


C’est ainsi que je me parlais lorsque la lune passa devant ma porte.

 

Je me mis brusquement debout et allongeai le cou comme un coq et mes yeux foncèrent vers l’astre nocturne qui se baladait en pleine journée. Je l’aperçus de nouveau et je me mis à suivre les mouvements de son déhanchement sublime.

 

Et j’avançais sur ma terrasse comme un bouc qui s’est mis sur ses arrières pattes pour marcher. Un déhanchement, j’avance. En haut, j’avance. En bas, je …tombe dans… mon fourneau ! Ce maudit fourneau était juste au bas de la terrasse dont je venais de dépasser le bord. Je ne m’occupai pas du tintamarre que faisait le fourneau en guise de protestation et je fonçai vers la sortie de ma cour pour ne pas perdre de vue mon hallucination.

 

Je suis au portail. Dans la rue. Je l’appelle. Et ô miracle ! Elle s’arrête. Tourne la tête. Et me regarde. Je cours vers elle. Je la salue et elle répond.


- Pourquoi m’avez-vous appelée ?, demande-t-elle

-  Euh…


Je me mets à gratter la tête comme si deux bataillons de poux s’y livraient  une guerre acharnée.


- Vous savez., euh…, vous savez… Voilà,  nous sommes de la même promotion à la fac!

- Ah bon ?

- Oui oui ! Mais comme nous avons le nombre de la population d’un village chinois, c’est pourquoi vous ne m’avez jamais rencontré. Comment se fait l’attente ?

- L’attente ?


Elle fronce ses beaux sourcils.


- Des résultats de la session, dis-je.

- Ah oui, c’est couci couça !


Elle a un sourire qui dévoile une rangée de colombes éclatantes de blancheur immaculée. Je suis hypnotisé. Je parle, le regard scotché à ce sourire.


- Moi, les dev m’ont massacré ! Et les profs sont tous mauvais ! Surtout le prof  Zoétaba ! Il est trop méchant ! Il n’aime pas les étudiants et passe son temps à leur donner des notes chères ! Tiens, il paraît que l’an passé, sur 2000 copies, il a distribué 500 zéros, 10, 400 « 2 », 85 « 5 », 5 « 8 », 19 « 9» et une seule copie a eu 10 sur 20 ! Est-ce que ce n’est pas un mauvais prof ça ? Et puis, il est vilain !

- Ah bon ?

- Tu ne le vois pas non ? Bon, on laisse Zoétaba là où il est. Je voulais te dire en fait que je suis KO de toi !

- Pourtant on ne s’est pas boxé !


Je la regardai. Bouche grandement béante.


- Non, je voulais te dire que je suis fan de toi !

- Mais je ne suis pas une star !

- En fait, je voulais te dire que tu m’as tapé dans l’œil !

-Voilà que tu reviens avec ton affaire de boxe !


Ou cette fille est idiote comme un âne ivre ou elle se fout de ma gueule.  Pourtant, je déteste qu’on se moque de ma gueule, même si je sais qu’elle n’est pas belle. Alors, je faillis devenir violet sous une soudaine bouffée de colère. Mais je me contins.


- En fait, tout ça c’est pour te dire que  je suis tombé amoureux de toi depuis maintenant deux ans !

- Mademoiselle, je peux vous déposer quelque part ?


Je sursautai violemment, croyant entendre la voix de satan sortant tout droit des chaleurs de l’enfer. Mais la voix venait  d’un bonhomme qui venait de garer tout juste derrière moi un 4X4 insolemment éclatant sous le soleil matinal.

 

Mais, soit mon envolée lyrique m’a assourdi soit le véhicule n’aimait pas faire du bruit, en tout cas je n’avais pas entendu son arrivée. Quoi qu’il en soit, je m’apprêtais à répliquer  vertement ce que ma bile pensait de sa proposition cavalièrement indécente et inopportune lorsque mes yeux ordonnèrent à ma  bouche de dire mielleusement ceci :


- Bonjour monsieur Zoétaba. Comment  allez-vous ? Je suis l’un de vos étudiants les plus assidus et elle aussi d’ailleurs.


Mon doigt indiquait ma voisine. Je me retourne pour recueillir son assentiment quand mon regard bute sur le vide qui me fixe de ses yeux…vides.

 

Le claquement ouaté d’une portière fit faire à ma tête un brusque demi-tour. Mes globes oculaires  virent alors la silhouette de deux têtes qui ballottaient doucement dans un 4X4 qui glissait silencieusement vers l’avant.

 

Le dernier pneu tomba dans un nid de poule. Ce nid contenait une omelette  liquide de boue. Omelette qui, en fuyant de son nid, ne trouva d’autre casserole pour salir que mes pieds. Des pieds que je découvris nus comme mes cuisses que couvrait à peine une mince culotte.

 

En pleine rue.

 

Par Abdou ZOURE



04/10/2010
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