22- Le Congrès
Ma désillusion ne fit qu’augmenter au fur et à mesure que les copies pleuvaient. Je ne dénombrais plus les « 00/20 ». Mais il y avait au moins quelque chose qui me consolait. C’est peut-être égoïste mais c’est un fait : je n’étais pas le seul à danser de douloureuses valses avec les mauvaises notes.
Enfin, les résultats de la première session furent proclamés. Après avoir attendu toute la matinée la fin des délibérations du jury, nous écoutâmes ce dernier vers la fin de la journée. A mon nom, on dit : « Pataarpanga Niyaaré : 7,56. Ajourné ! » C’est fait : j’étais élu député et je devais me préparer pour l’unique session plénière du Congrès. Soulby vint me voir ce soir-là. Il était admis.
- Mon ami, me dit-il, je suis malheureux pour toi mais je suis heureux pour moi.
Je sortis ma tête du garage qu’avaient formé mes bras croisés.
- Merci, dis-je.
- De rien, dit-il. Au moins, tu gardes pour l’instant le FONER.
Il rit. Mais je ne ris pas.
- Je ne veux pas te voir dans cet état, reprit-il après un moment. Il faut que tu reprennes courage. La deuxième session, ce n’est pas la fin du monde.
- Ce n’est pas la fin du monde, mais elle n’était pas non plus inscrite dans mon programme. Je suis démoralisé.
- Je sais.
- Ah bon ?
- Bien-sûr ! N’oublie pas que j’ai eu ma maîtrise en étant en première année. Ce qui veut dire que j’ai eu à faire huit sessions, dont quatre congrès. Je sais donc ce que c’est que d’être démoralisé.
- Ce qui veut dire aussi que tu sais comment on fait pour remettre le moral à flot !
- Bien-sûr ! Pour commencer, viens faire la fête avec moi !
- Pardon ?
- Oui ! Viens fêter avec moi ma réussite, après tu pourras bosser tout ton saoul !
Je regardai Soulby, incrédule. Ce gus me dit d’aller m’éclater en boîte alors qu’un jury venait de me dire que je ne valais rien mais qu’il me donnait la chance de me rattraper.
- Tu es fou, Soulby, dis-je.
- Ecoute, réplique-t-il, pendant ces quatre années que j’ai passées à pédaler un vélo qui ne bougeait pas, j’ai eu l’occasion d’être enseigné quatre fois par le même professeur. Il avait l’habitude de nous dire qu’on ne peut remplir une coupe déjà pleine. Et qu’il fallait vider l’esprit en allant gambader, sautiller, cabrioler avant de revenir s’intéresser aux charmes des paperasses. C’est là seulement que, selon lui, nous pourrons apprécier à leur juste valeur leurs formes et leurs contours les plus cachés. Alors, j’estime que tu es une calebasse pleine à ras bord de déception et d’amertume et qu’il faut que tu te déverses un peu. Alors, suis-moi !
Je réfléchis un moment. Puis, je me dis pourquoi pas. De toute façon, je ne pouvais rien faire ce soir-là que de me morfondre. Je sortis avec Soulby.
Nous prîmes d’assaut le maquis le plus proche. On dansa, sauta, cabriola, trémoussa… mais avec la gorge sèche. Soulby ne fut même pas fichu de nous payer un petit soda pour arroser son DEUG. Mais bref, je m’amusai tant et si bien que j’oubliai les sinistres petites lettres étalées sur du papier blanc qui m’ont voté massivement pour m’envoyer au Congrès.
Je rentrai chez moi à 3h du matin, ivre de fatigue, mais l’esprit dégagé. Je chantonnai un moment sur mon lit avant de m’enrouler confortablement dans les bras de Morphée.
Le lendemain, je m’attaquai à mes leçons. Cette fois, j’eus recours à la sagacité de Soulby. Il me donna d’anciens devoirs. Il m’aida à traiter certains d’entre eux. Il me donna aussi des conseils.
- Mon ami Pataar, au campus, ce n’est pas forcément les plus intelligents qui réussissent. Je ne dis pas non plus qu’il faut être aussi idiot et bouché que le contenu d’un WC abandonné ! Il te faut juste savoir allier la ruse à ton intelligence, essayer d’anticiper sur ce que ton professeur pourra concocter comme devoir. Et surtout savoir quelle est la manière dont il corrige ses devoirs et comment il veut qu’on les traite. Il suffit de rendre ce que ton enseignant veuille que tu rendes.
- Et j’imagine que c’est ainsi que tu as fait pour avoir ta maîtrise en première année !
Soulby se tue.
- Je sais, continuai-je, que ce n’est pas agréable ce que je viens de te dire mais je me méfie de tes conseils !
- Tu as peut-être raison. Mais il faut que tu gardes à l’esprit que ce ne sont pas que des raisons d’ordre scolaire qui justifient tout échec à l’école. N’oublie pas non plus que la hyène qui conseille à des agneaux de ne pas manger des charognes n’est pas forcément la première à suivre ces conseils. Ces conseils, on me les a donnés aussi à l’époque quand je me débattais comme toi dans le bourbier du Congrès. Mais jusqu’à présent, je n’ai jamais réussi à les suivre. Je te donne mes conseils. Tu en fais ce que tu veux. Au moins, je sais que je n’ai pas failli à la mission que m’a confié la dernière personne qui m’a donné ces conseils. Conseils qu’il a lui aussi reçus d’une autre personne. Voilà. Je vais rentrer chez moi maintenant.
Le départ de Soulby me laissa pensif. La ronde de ces pensées m’ont finalement conseillé de mettre en pratique les conseils de Soulby. De toute façon, qu’avais-je à perdre ?
Le jour de la composition de l’examen du premier projet de loi du Congrès, je me suis présenté à l’hémicycle, notre cher amphi. Je me sentais confiant car j’estimais que les bagages que j’avais sur le dos étaient nettement plus consistants que ceux de la première session. Ce qui se vérifia dans la facilité avec laquelle je traitai au brouillon la première épreuve.
Mais au moment où j’allais coucher le produit fini de mes réflexions sur ma feuille de composition, un surveillant me dit :
- Votre attestation d’inscription s’il vous plaît !
Je regardai sur la table. Elle n’y était pas. Elle était sûrement dans mon sac. Je fouillai. Pas d’attestation. Je commençai à paniquer.
ZOURE