12-Concours ou ...course de cons ?
A ma mère ; Que ton âme repose en paix.
A tous ceux qui n’ont pas ou plus la chance de dire « maman ».
- Je disais qu’au lieu d’essayer de trousser les filles et les sœurs des gens et de dépenser inutilement tes maigres sous, tu ferais mieux de chercher du travail, a répondu Soulby.
- Mais, c’est ce que je fais depuis tant de temps !
- Non. Tu n’as pas encore « cherché vraiment » un travail.
- Et comment cherche-t-on vraiment ce travail ?
- Concours.
Le lendemain, me voici à la mairie pour l’opération « Top légalisation ». Sur les conseils de Soulby, ce que je devais claquer avec Sabine me servit à coller des timbres et des cachets sur des photocopies. Le long train qui est né au bord d’une voie et qui s’est tortillé dans les entrailles de la mairie, ne m’a pas alarmé outre mesure. C’est mon quotidien.
Mais ce qui m’a dégoûté, c’est lorsque Soulby est venu chez moi me chercher un soir à 20h avec sa moto et… une natte.
- Où vas-tu avec ce lit ? ai-je demandé.
- Pour chercher l’ENAREF !
- …
- Ouais, ce concours-là, il n’est pas comme les autres. Lui, il faut se lever tôt le matin. Mais comme trop de précaution ne gâte pas sauce de chômeur, autant se lever tôt la veille ! Allez, prend une couverture, ton dossier et viens !
Je me suis exécuté.
Puis, nous voilà devant les portes de l’Ecole nationale des régies financières. L’ENAREF. C’est là que j’ai su qu’il y avait un camp de réfugiés au Burkina ! Partout, des nattes, des sacs, des formes couchées, debout, en train de causer ou lisant sous les lampadaires. J’ai été tiré de ma contemplation par le juron de Soulby.
- Ils ne peuvent pas rester dormir chez eux, non ? C’est comme ça ils font pour gâter le nom du pays !
Je me suis demandé si Soulby était aveugle ou si sa natte avait brusquement diminué de taille. On plaça d’ailleurs cette dernière par terre et on gonfla la liste des pèlerins couchés. On échangeait des banalités. Puis, on commençait à insulter les dirigeants du pays. C’est à cause d’eux qu’on venait se coucher à la belle étoile ainsi, comme si on était des SDF européens égarés en Afrique. C’est parce qu’ils gouvernent mal le pays que nos pères n’ont pas d’autres chats à fouetter et gonflent à longueur d’années les ventres de nos mamans. Qui, à leur tour, mettent au monde d’innombrables petits démons et petites diablesses qui deviennent de grands monstres qu’on ne peut ensuite pas gérer. C’est à cause d’eux que l’Europe et l’Amérique ont pillé l’Afrique, continuent de le faire et maintiennent la tête du pays sous le marécage nauséabond de la pauvreté.
Pendant qu’on canonnait ainsi contre les capitaines du gouvernail du pays, un escadron ailé, comme en représailles, s’abattit brusquement sur nous, avec force vrombissement : les moustiques. Les jurons fusèrent de plus belle. Contre les satanées bestioles qui se fabriquent par millions dans des caniveaux mal fabriqués par de mauvais fabricants. Moi, je me bouchai les oreilles et essayai de dormir. Mais c’était sans compter le vacarme de Soulby. Il pérora jusqu’à 3h du lendemain matin.
- Tu vois comment ce foutu pays marche ? Sur les yeux et les fesses en l’air ! Sinon, comment tu peux comprendre que pour juste déposer un dossier de candidature, on doive venir dormir devant la porte d’un gardien ?
Comme pour lui répondre, un éclair zébra le ciel.
- C’est quoi ça ?
- N’est-ce pas une pluie ?
- Quoi ?
Les gosiers étaient nombreux à prononcer cette question. On se leva, on regarda mais comme on ne vit rien, on se rassit. Soulby recommença son bourdonnement.
- Comment peut-on donner une feuille de choux aux groins de 100 porcs ?
- Je ne suis pas un porc, dis-je.
- Je n’ai pas dit que tu es un porc, mais c’est juste pour te faire comprendre notre situation : 10 femmes pour 100 000 soupirants ! C’est ch… !
- Les 100 000 soupirants ne sont pas obligés de tous se marier en même temps et la même année et surtout pas avec la même femme !
- Mais qu’est-ce que tu racontes ?
- Que la pluie est sur nous !
En effet, une couverture rousse s’abattit - décidément ! - sur nous. Une couverture qui faisait un bruit terrible et nous emplissait les yeux de milliers de grains de poussière. On se mit à courir, à crier, à se cogner jusqu’à ce que les grains de terre se transforment en petites balles liquides qui nous mitraillèrent copieusement.
Finalement, ne voyant plus rien, la mort dans l’âme et la rage dans les poumons, on se regroupa et supporta, stoïque, la douche forcée. Le robinet ne se ferma qu’à 5h du matin. On pu alors se regarder. Des oies prises dans une marée noire n’auraient été dans un plus piteux état. Vêtements collés au corps, poils aussi rouges que les yeux d’un gourounsi affamé, papiers réduits en bouillie, les dents claquant. On ressemblait vraiment à des cons.
Alors, on s’ébranla, chacun vers chez soi. Ne restèrent que ceux qui avaient pu sauver leurs dossiers de candidature du déluge. Le premier de la saison hivernale qui s’annonçait. Moi et Soulby ne fûmes pas épargnés par la catastrophe.
Soulby prit sa moto. Ses mâchoires se livraient une guerre terrible. Quant à ses yeux, une tornade n’aurait engendré plus d’éclairs. Il pédala la motocyclette. Les béquilles s’enfoncèrent dans le sol humide. Soulby se retrouva sur les genoux. Il se releva, furieux. Il balança son cartable par-dessus la tête. Ce dernier ne trouva pas mieux à faire que de m’embrasser fougueusement. Quand je pus m’en débarrasser, Soulby tenait les béquilles de sa bécane, qui était maintenant couchée sur le flanc.
Le jeune étudiant poussa un rugissement.
- Je vais tuer quelqu’un !
Et il s’élança. Tuer ? Mais qui ? Je tournai le regard vers la course de Soulby. Hé !
Abdou ZOURE