5-Ma première drague
Ma première drague…
Flash, flash et re-flash ! Mes yeux ne pouvaient plus s’arrêter de papilloter.
- Elle te plait, hein ? dit Soulby.
Ma tête fit un mouvement de haut vers le bas, mais mes yeux restèrent fixes.
- D’accord, on va gérer ça ! Mademoiselle ? Bonsoir. S’il vous plaît ! Un instant je vous prie.
C’est à ce moment que l’objet de ma convoitise se déplaça vers nous. Elle était à 25 m de nous. Mais j’avais l’impression qu’elle me collait à la peau. Elle me brûlait déjà. Elle avançait, lascive, telle une vipère. Mais une vipère aux formes délicieuses. Une vipère à qui on donnerait volontiers à mordre n’importe quelle partie de son corps. Elle ondulait. Un petit tricot en nylon moulait étroitement le haut de son corps tandis qu’un pantalon élastique épousait étroitement (mais sans un maire à côté) les courbes, les monts, les vaux, les vallons et les creux qui formaient le paysage du bas de son corps. Elle n’était ni grande ni petite. Elle n’était ni noire ni claire. Elle ne souriait pas, mais ne pleurait pas non plus. Une énigme, avec de longs cheveux artificiels qui jouaient avec les deux plus hauts sommets de ce relief de volupté.
Elle marchait entre les rangées de tables. J’étais jaloux de ces tables qui avaient le privilège de recevoir ses douces mains sur elles. Je voudrais pourfendre l’air qui avait l’outrecuidance de la caresser. Je haïssais le sol qui avait l’honneur et le plaisir d’effleurer ses talons. Elle arriva bientôt à notre niveau. L’effluve qu’elle charriait faillit me porter l’estocade finale. Mais je tins le coup. En m’accrochant à son regard, limpide et direct.
- Bonsoir, gracieuse demoiselle dont la gracilité du cou n’aura sans doute d’égale que la beauté de son nom que j’aurais sans doute l’immense honneur de connaître.
Cette longue phrase venait de sortir de la bouche de Soulby.
Elle sourit. Un fleuve de lumière et d’éclat qui ondula un bref instant entre ses lèvres charnues et sensuelles.
- Oui, bien-sûr. Mais vous flattez un peu trop la modeste Sandrine !
Sa voix. Les douces notes de la harpe de Cléopâtre.
- Enchanté. Moi c’est Soulby.
Ils se serrèrent la main.
- Je te présente mon ami, Tapa…euh…Pataar-pan-ga ! Ouf j’y suis arrivé ! C’est ainsi que ses ancêtres ont décidé de l’appeler !
Cette drogue faite femme me tendit la main. Je ne la vit pas. Soulby me donna un petit coup sur la nuque.
- Mais serre-lui la main, quintuple idiot !
Je levai la main. Mais elle dépassa la douce main de la savoureuse Sandrine pour aller attraper…son ventre ! Et je serrai. Fort. Secouai. Paf ! Slasch ! Une gifle recto-verso venait de me faire redescendre sur terre à 100 km à l’heure !
- Fallait me dire que votre Taaré ou Pata-machin était un obsédé ! a crié la demoiselle
- Non, détrompez-vous ! En fait, il est amoureux de vous depuis qu’il vous a vue pour la première fois. C’est-à-dire il y a deux semaines.
Soulby mentait comme un Gourounsi qui jure qu’il ne boira plus de dolo…pendant deux heures ! Car je ne suis qu’à mon premier jour au campus et cela fait à peine deux jours que je viens de mettre les pieds à Ouaga.
- Dès qu’il vous voit, il perd le réseau, la connexion, les pédales, les volants plus les guidons. Il est en « laisse » quoi ! ça peut aller maintenant ? Calmée ? Vous êtes un amour ! Bon, maintenant que les présentions sont faites, je vais y aller !
La panique arriva dans mon cœur comme un ouragan.
- Tu vas où ? demandai-je précipitamment.
- Mais chez moi !
Ma deuxième question ne trouva pas Soulby devant moi. Je restais donc seul. Avec Sandrine. Dans cette salle vide où la pénombre du crépuscule commençait à s’infiltrer. Qu’est-ce que je vais pouvoir lui dire ? Faut-il que je la prenne dans mes bras ? Faut-il que je l’embrasse ? D’ailleurs, comment embrasse-t-on ? Je fonce sur elle, les bras plaqués le long du corps et les lèvres pointées droit devant comme un avion en plein crash ? Ou bien je lui prends la tête avant ? Ou bien après ? Et puis, je vais dire quoi avant de lui prendre la tête ? Est-ce qu’on attrape cette tête là même ? Pourquoi n’y a-t-il pas dans tous ces maudits et multiples cours qu’on me donne depuis que j’ai mis les pieds dans une école, aucun ne répond à ces questions ? Maintenant, je fais comment pour me sortir de cette situation dans laquelle m’a mis Soulby ? Hein ? Ah, le salaud de Soulby !
Pendant tout ce temps, mes yeux fixaient bêtement mes jambes qui se livraient à une danse bizarre. Au lieu de regarder la beauté qui se tenait devant moi, dont la chaleur du corps brûlait ma peau, dont le parfum m’étourdissait un peu plus à chaque minute, j’étais là à fixer ce stupide tango qu’effectuaient ridiculement ces tiges qui me servaient de jambes. Soudain, une idée germa et grandit brusquement dans ma tête : Et si je lui disais ? Oui ! Mais oui ! A coup sûr, elle va adorer ! Elle va tomber en syncope ! Elle va se jeter à mon cou, m’embrasser, me dorloter, m’inonder de son parfum enivrant !
J’armai donc mon arc. Je plaçai les flèches de mes mots et je commençai à tirer :
- Tu sais, Sandrine, dès que mon regard s’est posé sur toi, une décharge symétrique me revint et perfora mon cœur avant d’installer sur mon âme les bases indestructibles du foyer de ton amour. Mais les braises de ce foyer sont très ardentes, si brûlantes que je rampe vers toi tel un crucifié en t’implorant une goutte de la sève d’amour qui coule dans ton cœur pour l’éteindre.
Sandrine semblait aimer. Elle commençait à adorer. Le fleuve de lumière était en train d’éclore entre ses lèvres. Je m’emballai. Je lançais frénétiquement les mots. Les adjectifs se bousculaient. Se marchaient sur les pieds. Se faisaient des crocs-en-jambe. Sortaient. Rapidement :
- Tu sais, Sandrine, tu ses ravissante, radieuse, resplendissante, angélique, délicieuse, savoureuse, élégante, voluptueuse, sensuelle…
Je roulais trop vite. Ma langue dérapa, fit une embardée :
- … Tu es ma mule …
Puis un tonneau :
- … Tu es si bête…
Abdou Zouré