A politicien, politicien et demi !
- Si vous votez pour moi, vous mangerez gratuit à la récré et à midi !
- Bravooooo !
- Votez pour moi et vous pourrez faire des kermesses et bals dansés chaque semaine !
- Ouaaaais ! Tu es fort !
- Votez pour moi et il n'y aura plus de surveillants, de censeur, de mauvaises notes, de règlement intérieur, de discipline, de ...
- C'est impossible !
- Votez pour moi et vous pourrez rabattre le caquet des professeurs emmerdeurs qui vous emmerdent en classe tous les jours !
- Monsieur, je vous dis que vous mentez !
- Quel est l'imbécile qui me coupe la parole comme un coupeur de routes ?
- C’est Yelsida, le journaliste de l’école !
- Monsieur, oui, c’est moi et je dis que vous êtes un menteur, un démagogue ! Tout ce que vous racontez, vous ne pourrez pas le réaliser ! Vous êtes un fidèle de la chapelle de la démagogie ! A bas, les démagogues ! Les dictateurs, à bas !
Le monsieur avec costume et cravate qui vociférait l’instant d’avant sur le podium, sauta à pieds joints dans la foule des élèves du lycée Wilguimam. Il recherchait celui qui jouait au journaliste. Mais ce dernier avait détalé.
L'apprenti harangueur remonta sur son podium, une chaise. Il battait sa campagne pour l'élection du délégué général du lycée. Il reprit donc :
- N'écoutez surtout pas les détaleurs... euh, les délateurs et les zélateurs du paysage de notre école. Ce sont des filous invertébrés...euh, invétérés qui veulent saboter notre avancement. Ils ...
- Excusez, monsieur Kataka, mais votre temps de parole est épuisé. Laissez la parole au candidat suivant.
C’était le modérateur de la joute oratoire.
Le sieur Kataka descendit du "podium" à contrecœur. Le suivant, un boubou immaculé sur le corps, monta. Il commença :
- Au nom du diable, de ses diableries et de ses diablesses, je vous assure que je vous débarrasserai de ces zouaves qui nous empoisonnent la vie avec leurs prêches musulmans, chrétiens et je ne sais quelles autres idioties...
- Monsieur, nous sommes obligés de vous avertir que la constitution de notre école interdit les discriminations basées sur la religion. Une seconde entorse de ce genre et on vous retire l'anten...euh, la parole !
- Je peux continuer ? Bien. Je vous disais, chers concitoyennes et concitoyens, que les religions sont des empêcheuses de tourner en rond et que dès que je serai prési..euh, délégué général, nous mènerons une guerre sainte contre…
- Monsieur Athéoui, vous n’avez plus la parole. Veuillez descendre s’il vous plaît !
L’interpellé descendit de mauvaise grâce. Un autre candidat lui succéda.
- Chers frères, chères sœurs. Vous savez, il y a des gens dans ce lycée qui n’y ont pas leur place. Il y a des gens qui torchaient le derrière des ânes et vaches qui sont parmi nous. Il y a des gens qui dorment dans la graisse des arachides et qui sont parmi nous. Il y a des gens qui sentent comme des usines de la Bavière. Il y en a qui ne font pas de différence entre un plat de riz et une tête de chien. Il y a d’autres qui sont pauvres. Il y a…
- Venez-en au fait, monsieur Wedraogo !
- Je veux dire que nous devons nettoyer notre lycée de tous ces mendiants ! De tous ces sangs impurs ! De toutes ces basses ethn…
- Amenez cet homme hors de ce lycée ! C’est un raciste... euh, un ethniciste ! Non, un zénophobe ! Bref, c'est la même grande famille ! Au suivant !
Le candidat suivant monta sur le podium.
- Bourgeois de tous les pays, unissez-vous ! Bannissez tous les prolétaires de nos écoles, du moins, de toutes les bonnes écoles ! De toutes les meilleures écoles ! Propriétaires de meilleures écoles, élevez le montant des frais scolaires ! Rendez-les inaccessibles aux pauvres ! Car s’ils y accèdent, ils deviendront nos maîtres et nous pillerons ! Si je suis élu, aucun enfant de paysan ne posera ses fes…
- Je proteste ! C’est de la discrimination !
- Yelsida a raison. Cette discrimination, basée sur la classe sociale, est interdite dans la constitution de notre école ! Par conséquent, je vous retire la parole ! Candidat suivant !
- Si je suis élu, je ne ferai rien !
- ??????????????
- Ouais, je ne ferai rien.
- Et pourquoi êtes-vous candidat alors ?
- Pour embêter mes concurrents !
- Suivant.
Un jeune homme, dans une simple chemise et un pantalon, contrairement à ses prédécesseurs engoncés et suant dans de vastes vestes, monta sur l’estrade improvisée. D’une voix posée, il parla :
- Mes chers amis, je ne suis pas venu pour vous faire des promesses. Mais juste pour attirer votre attention sur les problèmes que rencontre notre lycée. Regardez ces murs ? Sont-ils dignes de nous ? Regardez ces classes ? Sont-elles adéquates pour nos études ? Regardez cette cour. Il n’y a même pas de banc pour s’assoir à la récréation. Il n’y a aucune ombre, aucun arbre sous lequel nous abriter quand il fait chaud. Il n’y a aucun tableau pour nous exercer en dehors de ceux des classes. Nous n’avons même pas de ballon pour nous détendre, encore moins nous préparer pour jouer des matchs inter-lycées. Vous voyez ces…
- Ouais, on a vu ! Et on voit tous les jours tout ce que tu as cité ! Mais tu proposes quoi pour régler tout ça ?
- …
- Vous voyez ? Il théorise. Mais n’a aucune pratique, s’exclama Yelsida.
- Au suivant !
Une jeune fille monta sur la chaise.
- Nous, les filles de ce lycée, on est trop bâillonnée ! C’est nous qui balayons chaque jour les classes ! Chaque jour, s’il y a une corvée, ce sont les filles ! Et ce sont les filles aussi que les profs, les surveillants et même le proviseur, draguent à chaque recoin de classe. Voilà pourquoi, mes sœurs et ceux qui soutiennent la cause des filles, prenons notre avenir en main en m’élisant à la tête de ce lycée ! J’en ferai voir de toutes les couleurs aux garçons et ils regretteront le jour où ils sont nés ! Ils vont baver ! Ils vont chi…
- Eh, c’est une vengeance que tu mijotes ou c’est un projet de société ? demanda Yelsida.
- C’est vrai, hein ! dit un autre garçon. Tout ce que tu as dit me donne envie de changer séance tenante de lycée !
- Mais c’est normal, dit la candidate. Ce que vous avez fait comme mal aux filles, vous devez le payer !
- Place au dernier candidat ! cria le modérateur.
Il monta sur la chaise.
- Mes ser zami !
- Heiiin ?
- Hum ! Mes chers amis, chers compatriotes ! Je suis devant vous ce midi avec beaucoup de soleil qui nous cogne la tête pour vous présenter à me… euh, pour me présenter à vous. Je vais donc vous demander de votez moi !
- Heiiin ?
- Votez-moi !
- On dit « voter pour moi » !
- Votez-moi, votez pour moi, votez sur moi, votez dans moi, tout ceci est même chose ! L’essentiel, c’est que je sois généralement délégué !
- Bien ! dit le modérateur. La campagne est déclarée close ! J’appelle tous les élèves à aller dans leur classe respective désigner le candidat de leur choix. Rendez-vous ce soir à 17h pour les résultats provisoires et définitifs.
17h.
- Proclamations des résultats définitifs de l’élection du délégué général du lycée Wiguimam. Nombre de votants : 100 sur 6 785 inscrits. Bulletins nuls : 100. Résultat : On reprend l’élection !
Abdou ZOURE