Les Nouvelles de Zouré

Les Nouvelles de Zouré

2-Drôle d'intégration !

Drôle d’intégration !

 

Je regardai avec ahurissement mon compagnon.

- Pourquoi me regardes-tu comme si un âne avait pondu un œuf  sur mon nez ? rétorqua-t-il. Ici, au campus c’est comme ça. Au fait, tu auras à manger à la maison ?

 

En repensant au contenu de ma chambre où ne cohabitaient qu’une natte et un sac de voyage rapiécé, je secouai la tête pour dire non.

 

-          Alors, suis-moi. On va au RU.

-           

En me disant que le niveau grammatical de mon camarade était bien bas, je lui demandai :

 

- Dans quelle rue mange-t-on ici ?

- Il y a le RU central, le RU annexe et le RU Bengué !

- Donc, il y a des rues de ce nom à Ouaga ? Je ne savais pas !

- Tu ne peux pas savoir, vu que tu viens de la province et que tu es neuf au campus. Moi, je suis un vieux de la vieille : Quatre ans ! C’est pas du volé !

- Quatre ans ? En première année ?

- Ouais ! Bon, assez bavardé !  Allez viens ! On y va !

- Mais, protestai-je, les cours de la journée ne sont pas encore terminés ! Il n’est que 10h et nous avons un autre cours dans quelques instants. C’est marqué sur le programme !

 

Mon camarade me regarda avec un air ironique.

 

- Ici-là, ou tu choisis de manger le cours ou de manger le RU. C’est à toi de voir. Moi je m’en vais !

Il prit son sac et, résolument, partit vers la sortie, esquivant  de temps en temps une brique. Mon grand-père me disait : «  Quand tu vas dans un village de singes, imite les grimaces du premier singe que tu rencontres. Cela t’évitera d’attraper des branches que tu ne devrais pas et ainsi de ne pas faire ensuite des grimaces autrement plus désagréables. » Cela dit, me voilà derrière mon camarade. Nous sortîmes de l’enceinte du campus. De nombreux étudiants ont pris la même direction que nous.

- Hé, dépêche toi ! Il faut avoir du nerf dans ce coin ! Si tu es mou comme un escargot, tu t’assécheras sans faire un seul pas. Car le soleil brûle dru ici !

 

J’essayai tant bien que mal de le rejoindre. Je suais à grosses gouttes. Nous traversâmes une rue. Puis deux. Je ne voyais toujours pas la rue … Bref, l’une de ces rues que mon camarade a…

- Hé, quel est ton nom ?

- Soulbi.

Soulbi sera mon meilleur ami au campus. Nous débouchâmes dans la troisième rue.

- Vers ce côté, c’est le RU annexe, jeta-t-il en tendant son bras vers une direction où convergeaient de nombreux étudiants.

- Donc, dans toutes les rues, il y a un coin pour manger ? demandai-je.

- On ne dit pas une RU mais un RU !

- Hein ? Mais la rue c’est un nom qui est toujours au féminin ! dis-je un peu gêné qu’il continue dans son erreur.

Soulbi s’arrêta brusquement et me regarda avec de gros yeux. Puis, du coq à l’âne, se mit à rire avec de gros éclats. Quand il se fut calmé, il m’expliqua que « RU » et « rue » ne sont que des homonymes homophones et que si le second contient des maisons et des pistes poussières, le premier renferme de la nourriture pour étudiants affamés.

- Tu as un ticket ?

- Pour la…le RU ?

- Bien sûr !

- Non.

- Tu as une marque ?

- Marque ?

- Donc, tu n’en as pas ! Tiens ça. Tu me rembourseras.

Il me tendit un rectangle de papier vert où sont griffonnés des mots et un carré d’aluminium grossièrement découpé. Et nous voilà devant le « RU Bengué ». Une haute maison encastrée dans une cour étroite. A sa porte aboutissait un boyau de barres de fer entremêlées où coulissaient déjà les annaux d’un énorme serpent d’hommes dont la queue sortait de la bâtisse et allait serpenter plusieurs mètres dehors. Sous le soleil.

- Tu vois ! Le rang est  déjà long.

- Donc, tous ces gars ont laissé leurs cours pour venir ici ?

-Il faut dire terre à terre « tiré cours. » ça t’évite de gaspiller ta salive. Oui, ils ont tiré cours et moi je vais tirer court. Viens, on va s’intégrer.

- S’intégrer ?

- Oui, fit-il d’un air excédé. C’est-à-dire, nous mettre au milieu du rang.

- Mais, fis-je hésitant, et si on allait s’aligner à la fin du rang ?

- Si tu tiens à repartir suivre le cours de l’après-midi le ventre vide, libre à toi. Moi, non.  J’ai déjà vu un frère là-bas. Allez, l’intégration en marche ! Si tu tiens à manger, suis ce que je vais faire et fais ce que je te dis de faire !

Je le suivis. Il accosta son « frère ». Ils se mirent à causer de tout et de rien, tout en suivant la progression du rang. Ceux derrière qui nous devrions être normalement alignés  étaient à un kilomètre de là. Nous étions pratiquement à la porte. Je regardais d’un air inquiet les autres qui étaient derrière le frère de Soulbi.  Ils nous regardaient comme des  chats prêts à bondir sur une sauterelle. Soulbi avait largement mordu dans le rang. Nous étions à la porte. Soulbi était déjà dans le rang. Devant son « frère ». Je ne sus à quel moment cette formidable « intégration » s’était faite, mais j’avoue qu’à cette allure, l’Afrique ne serait devenue qu’un gros village ! Il restait mon tour. J’allais rentrer devant Soulbi, à la porte … « Djou la ! » Puis,  je me retrouvai sur le dos, les quatre fers en l’air. Dans la poussière. Complètement déboussolé.

 

A suivre...

 

Abdou  ZOURE



04/10/2010
0 Poster un commentaire