Les Nouvelles de Zouré

Les Nouvelles de Zouré

14-Tous pour un, un pour tous !


Pourquoi il dansait de cette manière, nous ne tardâmes pas à le savoir.

- Bienvenu ! Bienvenu ! Soulby ! chanta le bailleur.

- Merci, répondit d’un air morose mon ami. Que me vaut l’honneur de votre visite ?

- Ah ! Rien de bien grave ! Juste mettre de la glace dans votre mémoire pour qu’elle vous rappelle que vous me devez cinq mois d’arriérées de loyers à raison de 10 000 F CFA chacune et que votre force herculéenne qui vous permet de vous dérober à mes visites ne m’a pas permis de récupérer jusqu’à ce jour. Deuxième information : il y a une petite hausse sur le montant du loyer que vous me devez ce mois.

- Quoi ? Une pénalité ? demanda Soulby.

- Pas que l’envie me manque de l’instaurer, mais non, ce n’est pas une pénalité. C’est une petite contribution de plus que je vous demande sur le montant de votre loyer.

- Combien ?

- 1 000 F CFA.

- Quoi ?

Je sursautai car ce quoi ne venait pas de sortir du seul gosier de Soulby mais d’une vingtaine de gorges dont nous n’avons pas senti les propriétaires arriver. Ils venaient de la dizaine de portes ouvertes qui composaient cette cour que les Ivoiriens nomment « cour commune. »

- Tu  as di quoi ?

- Queschia (1) ?

- Y a quoi même et puis tu nous fatigues encore avec tes hausses-là ?

- Eh, faut béou (2) dè !

- Eh, vié (3) père, faut fraya, sinon tu vas prendre drap ici dè !

Des dizaines d’étoiles de sueur naquirent brutalement sur le visage du  bailleur et son boubou, bouffant il y a quelques instants, devint tout aussi brusquement collant.

- C’est la force ! protesta-t-il. Les prix ont augmenté partout. Il faut que moi aussi j’augmente le prix de mes loyers !

- Le prix de quoi a augmenté ?

- Le carburant, le sucre, le ciment, le courant…

- Tes cabanes-là boivent essence ? demanda un étudiant, costaud comme un Kilimandjaro.

- Ou bien elles boivent zoom-koom ?

- Tu payes quel courant ici ?

- Eh, faut pas distraire les gens !

Face aux visages menaçants, le bailleur s’éclipsa. Sans oublier de jeter, une fois sur le seuil de la concession :

- Ça ne se passera pas comme ça !

Et il fila. Chacun retrouva sa chambre, sans manquer de vilipender et crier haut contre la cupidité des commerçants. Mais à peine que moi et Soulby  eûmes posé les fesses sur ses secs tabourets dans son « voilà-moi », voilà la :

- Police ! Le nommé Soulby est sommé de libérer sa chambre !

Nous mîmes le nez dehors. Deux policiers aux mines rébarbatives, matraque en main, casque sur tête, étaient fermement campés sur leurs jarrets juste à l’entrée de la cour. Et derrière eux, le bailleur nous regardait avec défi. Les étudiants sortirent lentement de leurs chambres. Quelques instants plus tard, ils formaient comme un front face aux représentants de l’ordre.

- Qui est Soulby ? demanda celui qui semblait être le chef de l’escouade.

Soulby allait se montrer lorsque le costaud de tout à l’heure se présenta et dit :

- C’est moi. Y a quel blème (4) ?

- C’est bien lui ? demanda le policier au bailleur.

- Waï ! Ce n’est pas lui ! C’est…

- Tout le monde s’appelle Soulby ici, l’interrompit le costaud. Tout le monde répond au nom de Soulby et tout le monde réagit quand on veut faire du tort à Soulby.

Indécision du côté des forces de l’ordre.

Le bailleur réagit :

- Boukary, vas-y ! C’est lui là-bas ! Vas l’arrêter !

Le policier fit un pas. Le costaud en fit deux. Stop. Tension. On se regarde. On se jauge. Soudain, diversion : un jeune enfant de 8 ans vient de rentrer dans la cour en poussant un vieux pneu de vélo. Il s’exclama :

- Hé, Boukary ! Tu fais quoi ici ! Y a des clients en pagaille qui attendent dans ta boutique ! Eh ! Tu es devenu policier ? Tchié ! Tu es fort dè !

Pendant tout le temps que l’enfant faisait son discours, le policier Boukary faisait des mimes pour le dire de se taire. Mais trop tard !

- Attrapez-les ! Ce sont des imposteurs !

 

A suivre…


A. ZOURE


zourabdou6@yahoo.fr  

1 : Que se passe-t-il ?

2 - Béou, fraya : partir.

3 : Vieux

4 : Problème



12/01/2011
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