Les Nouvelles de Zouré

Les Nouvelles de Zouré

13-SOS ! Dirigeants en danger !

Soulby fonçait sur le poteau tricolore qui réglementait la circulation devant l’ENAREF. Son regard, farouchement dardé sur la barre de fer, n’augurait sans doute rien de bon pour cette dernière. Comprenant ce qui allait se passer, je sprintai. Je réussis à attraper les béquilles de la motocyclette au moment où Soulby leur faisait faire un arc de cercle vers la tête du feu aux trois yeux tricolores.

C’est là que je découvris que Soulby avait la force de cent bœufs réunis : je voltigeai par-dessus son épaule pour me retrouver, une fraction de seconde plus tard, le dos baisant abruptement le sol, tandis que mes bras restaient en l’air, tenant toujours les béquilles. Soulby jura.

- Mais qu’est-ce que tu fais là, toi ? Laisse-moi fracasser le crâne de ce malotru de dirigeant !

Je regardai Soulby. Mon regard s’accrocha au fil du sien qui se dardait toujours sur le poteau électrique. Je ne comprenais pas. De quel dirigeant parlait-il ? Je formulai à haute voix cette question.

-Mais de ce salaud dont la photo est placardée sur ce poteau ! Ne vois-tu pas qu’il se moque de nous ?

Je regardai une fois de plus le feu tricolore et c’est à ce moment que je vis en effet une affiche sur laquelle souriait lumineusement le buste tiré à quatre épingles d’un monsieur qui demandait de voter pour lui afin que « 100 % de jeunes = 100 %  d’emploi ! » L’affiche datait de quatre ans.

- Il a dit cela. On l’a voté. Regarde-moi aujourd’hui.

- En tout cas, tu n’es pas beau à voir ! dis-je après  un bref coup d’œil sur mon dépenaillé ami.

- Ah le sa…

Je n’entendis pas la suite de la phrase. Je n’ouvris les yeux que bien plus tard, sur un plafond, et pour recevoir sur le visage une des multiples  galettes de plâtre qui pendaient dudit plafond. Je l’écartai.  Je sentis alors une vive douleur sur le côté gauche du crâne. Soulby était penché sur moi.

- Où suis-je ?

- A l’hôpital, répondit Soulby en poussant un soupir qui semblait être celui du soulagement.

- Qu’est-ce qui s’est passé ?

- Euh, dit Soulby avec un air penaud. Hem, je crois que j’ai confondu le sourire moqueur du dirigeant avec ton crâne !

- Et depuis quand suis-je là ?

- Une heure !

Je voulus arranger l’oreiller sous ma tête et mes doigts trouvèrent avec surprise un sac. C’est alors que mes fesses sentirent que  je n’étais pas couché sur un lit, mais à même le sol ! Un sol très chaud, de surcroît !s

- Soulby, donc depuis une heure, je suis couché ici comme un soldat à l’affût de la mort et personne ne m’a touché pour voir si oui ou non celle-ci me plaçait confortablement dans son détestable carrosse pour le non moins haïssable voyage sans retour ?

- Hé oui et c’est pour ça que j’ai tempêté et tempête toujours ! Mais personne ne nous regarde ! Et tu n’es pas le seul. Ils sont tous pourris dans ce pays !

Je tournai la tête et tombai nez à nez avec une bouche ouverte qui donnait à manger à des dizaines de mouches. Mes yeux descendirent et croisèrent une main ouverte dont le majeur faisait une drôle de danse. Soudain, un cri me fit bondir sur mon séant, arrachant en même temps à ma gorge une exclamation de douleur. Exclamation vite asphyxiée par les cris qui emplissaient la voute et le couloir engorgé de l’hôpital. Mes globes oculaires transmirent à mon cerveau l’image de deux femmes et  d’un enfant éplorés qui se déchiraient les vêtements sur le corps inerte d’un homme dont le coin des lèvres est trempé de sang. Ce qui me hérissa, c’est que les yeux du bonhomme me fixaient d’une façon pas du tout polie. Et c’était fort désagréable. Ce qui fit que je dis ceci à  Soulby :

- Eh, Soulby, partons !

- Hein ?

- Partons d’ici ! Mon mal n’est pas si riche pour me permettre de payer le loyer de cet hôtel six étoiles, qui est par ailleurs très confortable, admirablement amusant et doté d’un personnel si serviable qu’il frise la servilité !

Malgré les protestations de mon ami, je me levai et nous voilà vers la sortie. Avant de franchir la porte, Soulby poussa encore son grognement de cochon et avant que je ne réalise ce qu’il faisait, il raclait le mur de l’entrée de l’hôpital avec ses ongles. L’instant d’après, l’étudiant triturait et déchiquetait une boule de papier, qu’il jeta ensuite dans une poubelle. Après quoi, il sourit et poussa un soupir :

- Ah, ça fait du bien !

- Qu’est-ce que l’affiche disait, cette fois-ci ?

- « Tous pour moi et moi pour moi, la santé sera votre maladie ! »

Soulby m’amena avec sa motocyclette, désormais sans béquille, jusque chez lui.  Arrivé là, une surprise désagréable l’attendait : son bailleur dansait le « koursa koursa » (1)  devant son « voilà-moi » ! (2)

 

A suivre…

 

Abdou ZOURE

zourabdou6@yahoo.fr

 

1- Nouvelle danse du Burkina, inventée par l’artiste Dj Lebry, dont les pas consistent à se gratter le corps tout en se trémoussant.

 

2- Argotique, une maison d’une seule pièce.



16/12/2010
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