Les Nouvelles de Zouré

Les Nouvelles de Zouré

Qui est Dieu ?

NOUVELLE


Qui est Dieu ?


- Je vous assure qu’il a giflé son père !

- Astagfiroullah !


La discussion se figea et quatre paires d’yeux se déplacèrent lourdement vers moi.


- Quoi ? Qu’est-ce que j’ai dit ?

- Tu es un extrémiste ! Un terroriste ! Mon père me l’a dit ! Tous les musulmans sont des terroristes et ils n’ont pas de paradis !


Je restai  abasourdi. Moi, un terroriste ? Il ne  me serait jamais venu à l’idée de poser une bombe pour tuer des gens. J’avais d’ailleurs toujours condamné cela.


- Alléluia ! Vous avez enfin accepté ce que je pensais ! Mon père a dit la même chose ! s’exclama une fille.


Celui qui m’avait qualifié de terroriste sans appel regarda la jeune fille.


- Les protestants sont des opportunistes et des menteurs ! Mon père m’a dit que les pasteurs sont des commerçants d’illu… d’ulli… Bref, il a dit qu’ils mentent aux gens pour pouvoir les escroquer !

- Je proteste ! dit l’attaquée.

- C’est ce que tu fais tous les jours. Alors…

De ses yeux, la jeune fille décocha des missiles vers le « juge », un garçon de 13 ans. Nous avons d’ailleurs tous le même âge et sommes assis dans la même classe, c’est-à-dire la 5e dans un lycée privé. Nos parents sont aisés et peuvent se permettre cette grande école. Nous étions cinq, deux filles et trois garçons, et échangions sur un film lorsque mon « astagfiroullah »  a tordu le cou à la discussion.

- Il n’y a que les ancêtres qui disent la vérité dans tout ceci ! dit le troisième garçon. Et de plus, ils restent fidèles à leurs racines…

- Il n’y a que le catholicisme qui est pur ! interrompit le juge. Les animistes sont sales, sanguinaires et des suppôts de Satan ! C’est le  prête qui l’a dit lors d’une messe !

- Répète un peu que mon père est sale, sanguinaire et un serviteur du diable et je te refais ta figure d’adorateur de Jésus qui se prend pour Dieu, menaça le défenseur des animistes.

- Que peux-tu me faire ? Tu vas égorger un poulet pour me tuer ? Et le poseur de bombe va sans doute me faire exploser la bombe H à la figure, si la protestante ne l’a pas entretemps escroqué pour le faire à sa place !

On se rentra dedans. Coups de poing, de dents, de langue, etc., jusqu’à ce que la deuxième fille, plus forte que nous trois réunis, nous sépara.

- Bande d’idiots ! Bande de mécréants ! Qui d’entre vous connaît Dieu ? Qui est Dieu ?


Silence dans le rang.


- Vous ne connaissez pas  Dieu et vous prétendez prendre sa défense ? Eh bien, moi je n’ai pas de religion. Je ne suis ni musulman, catholique, protestant, animiste ou bouddhiste. J’adore Dieu, point à la ligne ! Et gare au salaud qui viendra me dire que je n’irai pas au paradis ! Je peux vous dire qui est Dieu.

- Ah bon ? avons-nous demandé en même temps.

- Mais à une seule condition !

- Laquelle, demandai-je, méfiant.

- Que vous ne l’oubliez pas, jamais.

- Dis-le toujours, on verra après, proposa le « juge » d’un air dubitatif.

- Bien. Dieu, c’est …


Tous prêtèrent l’oreille. Attentifs.


- Dieu, c’est vous et moi ! Qu’importe alors la religion ? Aimer Dieu, c’est nous aimer les uns les autres. Quelle est cette religion, quel est ce livre saint, quel est ce précepte ancestral digne de ce nom qui commande de tuer son prochain ? Car ce prochain, c’est Dieu !


On se regarda. Puis chacun haussa les épaules et s’en fut sans plus prêter attention à la fille que toute la classe craignait, méprisait et appelait « la grande échasse rêveuse ».


Le lendemain, samedi, le professeur de sciences de la vie et de la terre organisa une sortie au bord du barrage. Objectif, observer les algues. Le car du lycée s’ébranla à 8h. Les éclairs zébraient l’espace entre les antagonistes de la veille. La « Grande échasse rêveuse » s’était renfermée dans son cocon. Elle gardait les yeux fixés sur la vitre. Quant à nous, on évitait de se regarder et lorsque nos  yeux se rencontraient néanmoins, les kalachnikovs crépitaient dru.


C’est dans cette atmosphère électrique qu’on arriva au barrage. L’étude commença. Le professeur était lancé dans ses explications devant une famille d’algues. Le « juge » était un garçon fort turbulent et il détestait à mort tout ce qui est règle. Voilà pourquoi il se retrouva au bord du barrage, plus que les autres. Et de là à  ce qu’il plonge dans l’eau, il n’y a qu’un pas qu’il franchit allègrement.


Mais il ne savait pas qu’un barrage n’avait rien à voir avec la piscine adaptée que son père lui avait confectionnée dans sa belle villa. La profondeur le surprit. Il s’enfonça. Puis remonta et poussa un cri strident. Déjà, le courant l’éloignait de la berge. Il cria encore :


- Au secours ! Seigneur, sauve-moi !


Je n’hésitai pas. Je plongeai. J’entendis d’autres plouf. Je nageai vigoureusement vers la boule noire qui effleurait de la surface liquide. Je l’atteignis, en même temps que d’autres bras.


Quelques instants plus tard, « le juge » était hors de danger. L’ambulance l’amena, pendant que le professeur  pliait l’échine. J’eus pitié pour lui. Il allait sûrement se faire gronder par le proviseur. Mais ce n’était pas sa faute. C’était celle du  « juge ».


Le lundi, « le juge » était de retour à l’école. Il était anormalement calme. Il salua respectueusement tout le monde. Et tout le monde ouvrit la bouche d’étonnement. Je me dis qu’il allait neiger.


Quelques instants plus tard, la « Grande échasse rêveuse » entra dans la classe. Elle alla directement vers « le juge » :


- Lorsque tu as crié « Seigneur, sauve-moi », qui est-ce qui t’a sauvé ?


Elle n’attendit pas sa réponse et se dirigea vers moi :


- Lorsqu’il a crié « Seigneur, sauve-moi », pourquoi t’es-tu jeté à l’eau ? Qui est Dieu, selon toi ?

 

ZOURE



03/04/2012
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