Les Nouvelles de Zouré

Les Nouvelles de Zouré

Ne jamais baisser les bras

Je jetai mon sac dans un fauteuil et me laissai tomber dans un autre, las. Après m'être fait assener des cours au campus de 7h à 13h et de 15h à 18h, je suis allé assener à mon tour des cours de 19h à 20h 30 à un élève de 6e. Qui m'a innocemment dit que les couleurs du drapeau burkinabè était composées du blanc, du violet et du noir, piquetées de huit étoiles vertes à six branches. Quand je lui demandai d'entonner l'hymne national de son cher Burkina, je l'interrompis aussitôt pour éviter que le "contre la férulequemalice" n'aille chercher la bagarre au "contre la cynique humiliante." Après ça, je n'osai pas lui demander quel était le nom de sa chère patrie de peur que, de colère, je lui fracasse la figure avec ma chaussure élimée.

 

 Les Sciences de la Vie et de la Terre ne furent guère revigorantes et je vous épargne le génocide des règles grammaticales de la langue française lorsque je lui fis faire une petite dictée. C'est donc après une journée de ce genre que je rentrai chez moi.  Toutes ces misères pour un maigre salaire à la fin du mois. Heureusement que j'ai des "parents" ici en ville, qui me refilent de vieux billets de temps en temps et que me parents du village m'envoient quelques sacs de riz. Mais cela ne va toujours pas et je baigne dans la galère à tout temps. La vie est vraiment injuste avec moi.

 

Une douche froide et rapide plus tard dans le W.C de la cour commune, me voilà extrayant de mon sac d'étudiant, un sachet blanc. Ce dernier enveloppait du bon "benga" que j'ai sorti des fours du RU après une heure d'attente dans un rang interminable. Je renversai la nourriture dans mon assiette, remerciai Dieu d'avoir pu devancer d'autres étudiants au restaurant et m'apprêtais à faire un sort au plat lorsqu'un "toc toc" ébranla ma porte.

 

Je n'eus même pas le temps de répondre que le rideau s'écarta, laissant entrer un ami étudiant. A peine ai-je entendu son bref bonsoir que je rencontrai sa main dans l'assiette. Je ne sus pas quand est-ce qu'il lava les mains. Nous nous unîmes donc pour faire un sort au pauvre contenu de l'assiette. Après quoi, mon visiteur m'expliqua l'objectif de sa visite : "Juste un bonsoir en passant."

 

Je me serais volontiers passé d'un bonsoir qui passe au mauvais moment et vous prive le ventre de sa maigre ration. Mais j'oubliai mon ventre à moitié vide lorsque Patrick parla.

 

Sa mère venait d'arriver du village, il y a deux jours. Elle est souffrante. Veuve depuis trois ans, elle nourrit  ses cinq enfants grâce aux revenus de la vente infructueuse de soumbala. Patrick, le sixième enfant,  a 23 ans et est leur aîné. Personne ne s'occupe de la femme tombée malade au village. Le cadet de Patrick a donc décidé de l'envoyer en ville. Chez Patrick qui habite un "entrez-coucher" dans un "non loti".

 

Il a envoyé sa mère à l'hôpital. Mais ce dernier ne guérit pas sans médicament. Et les médicaments ne soignent pas sans ordonnances. Des ordonnances qui ont rempli et débordé des poches de Patrick sans pourtant y rencontrer un seul franc CFA. Patrick se promenait donc depuis la veille de camarade en camarade pour demander quelques sous. Je lui donnai cinq mille francs CFA. Il ne me restait plus que mille francs CFA. Mais les parents de mon élève me doivent cinq mille  francs CFA, que je dois prendre le lendemain, salaire d'un mois de répétition.

 

Patrick partit.

 

Le lendemain, j'attendis  en vain de 13h à 14h30 mes employeurs chez eux. Je résolus donc de passer rendre visite à Patrick avant de continuer au campus pour mon cour de 15h. La cour de Patrick était remplie de gens. Il venait de conduire sa mère à sa dernière demeure.

 

Le seul soutien qui lui restait, lui et ses frères.

 

Par Abdou ZOURE

zourabdou6@yahoo.fr



09/01/2011
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