Les Nouvelles de Zouré

Les Nouvelles de Zouré

Mariage à plaisanterie

Mariage à …plaisanterie !

 

Yadegabiiga arriva avec sa moto. Freina brutalement en faisant jaillir un petit panache de poussière. Mit la petite cale. Ronfla. Une fois. Deux fois. Trooois fois. Puis éteignit. Les deux pieds calés sur la moto, il sortit son portable,  composa un numéro, attendit, puis dit :

 

- Ouais, chérie ! Fleur de mon désert solitairement esseulée dans la solitude des solitudes, je suis là, devant ton palais, à tes pieds. Je t’attends.

 

Il dut entendre une réponse favorable, car un large sourire fendit  son visage et il raccrocha. Il se mit à siffloter bruyamment et gaiement. Aurélie l’avait subjugué. Ce n’était pas une « bombe », comme ses copains qualifiaient grossièrement les filles qu’ils trouvaient jolies. Non. Aurélie était douce, gentille, fragile, belle… La liste de ses qualités est longue. Mais une lueur brillait au fond de ses yeux et qui le mettait mal à l’aise. Cette fille était malicieuse. Il lui avait néanmoins avoué sa flamme la veille. Elle avait souri puis lui avait dit de passer chez elle aujourd’hui. Et le voilà, à 18h précises, comme elle le lui avait demandé. Il était certain que son charme lui avait tapé dans ses jolis yeux ! Oui ! Et à cette pensée, un doux frisson naquit dans son ventre et se propagea comme un nuage de chaleur dans toutes ses entrailles.

 

Les pensées de  Yadegabiiga furent interrompues par un grondement de moteur derrière lui. Il se retourna pour voir, dans la lueur que jetaient les dernières lueurs du soleil, un Hercule ôte un casque et le pose sur le guidon de la grosse bécane  qu’il venait de garer à quelques pas de la sienne. Sans lui jeter un regard, le nouvel arrivant sortit un portable de la poche de sa chemise kaki de lycéen, composa un numéro  et  appela. Il l’entendit dire :

 

- Oui, ma douce ? Tu es là ? Je suis à ta porte, attendant que tu daignes m’honorer et m’illuminer de l’aura que la nature t’a donnée comme sourire. Tu viens ? D’accord. Ma patience est aussi grande que le souffle de vie d’un cadavre !

 

Yadegabiiga eut une mimique d’horreur. Quel est ce poète de pacotille ? S’interrogea-t-il. Parler d’un cadavre à une fille ? Quelle maladresse ! Et à Aurélie en plus ! Puis, le jeune homme se figea. Ce gus avait parlé à Aurélie ! « Sa » Aurélie. Il se retourna vers lui d’un air courroucé. L’autre le cueillit avec une question bourrue :

 

- Hé, es-tu un faux policier ou un apprenti paranoïaque pour me regarder de cette façon ?

- Et toi,  as-tu raté ta vocation d’avocat accusateur pour poser des questions aussi idiotes ?

 

L’autre descendit de sa moto et s’avança, d’un air menaçant :

 

- Répète un peu ce que tu viens de dire ?

 

Yadegabiiga fit une comparaison rapide de sa puissance de frappe et de celle de l’autre : Il n’y aura pas match ! Aussi descendit-il de sa moto et dit :

 

- Si tu fais un pas de plus, c’est que ta tête est aussi grosse et vide qu’un tonneau !

 

L’autre stoppa net. Sa bouche s’arrondit de surprise. Il voulait frotter les oreilles à ce petit garnement mais il n’allait tout de même pas avouer que sa tête est grosse et vide ! Il serra les poings, poussa un grognement qui fit danser les cheveux de Yadegabiiga puis repartit s’asseoir sur sa moto. L’autre poussa un soupir (discret) de soulagement. Il regarda sa montre. « Mais qu’est-ce que Aurélie fait à l’intérieur de cette cour ? », se demanda-t-il. Il se mit à appeler :

 

- Aurélie ! Aurélie !

- Idiot ! Ferme-la ! Tu sais pourquoi elle t’a demandé de l’appeler sur son portable au lieu de t’égosiller comme un crieur public des années  40 ?

 

Puis, se rendant compte du sens des mots qu’il venait de prononcer, l’Hercule bondit de sa moto et fonça vers Yadegabiiga. Tant pis si sa tête est grosse ! Ce serait  d’ailleurs une bonne massue pour corriger ce gringalet qui voulait se prendre pour son rival. « Prendre ma Aurélie ? Nan ! Cela ne saurait se faire ! », martelait-il dans sa tête. Yadegabiiga allait se lancer dans un nouvel appel lorsqu’il vit du coin de l’œil l’autre arriver sur lui comme un taureau. Un petit saut de côté et le bélier le rata de peu. Mais il n’eut pas autant de chance au second assaut et les voilà qui se roulaient à terre. La belle chemise que Yadegabiiga avait portée pour la circonstance, de même que son bon parfum partirent en fumée dans les « han », les « huum », les « hon » que chacun des deux protagonistes lâchait dans la chaleur de leur lutte.

 

C’est à ce moment que Aurélie sortit.

 

- Arrêtez ! Vous êtes fous !

 

Ils ne s’arrêtèrent pas. Ils étaient vraiment fous de leur bataille. Alors, Aurélie cria :

 

- Tant pis pour le dernier dans ma cour !

 

En un clin d’œil, ils furent premiers ex aequo dans la concession de la demoiselle. Ils avaient devancé cette dernière. Et furent ahuris de se trouver devant une rangée de vieux assis, les jambes repliées, en boubou, sur des nattes. Une natte vide était posée devant eux. L’un des vieillards, le plus âgé, leur dit :

 

- Soyez les bienvenus. Nous vous attendions. Veuillez vous asseoir. Aurélie, apporte-leur à boire !

 

Les deux jeunes gens, la tête poussiéreuse, les habits contusionnés, se regardèrent. Leurs yeux interceptèrent ensuite et suivirent Aurélie qui traversa la concession et entra dans la maison. C’est alors qu’ils virent que des femmes, nombreuses, étaient également assises sur la terrasse de ladite maison. Ils s’assirent. Mal à l’aise. Le plus vieux parla après que Aurélie leur eut servi une calebasse d’eau. Elle souriait. Espiègle. Les questions que leurs yeux lui lancèrent ne trouvèrent pas réponse. Le plus vieux parla donc :

 

-  Bien, jeunes gens. Quel est l’objet de votre visite ?

- Euh …, firent les deux jeunes gens, perdus.

- Oui, je vous comprends ! fit le vieillard en hochant la tête. Il est parfois difficile d’exposer quelque chose de si important. Mais nous savons déjà et nous marquons notre accord.

 

Les deux jeunes se regardent.

 

- Néanmoins, comme votre demande est simultanée, nous n’avons que le choix d’accéder conjointement à  votre requête.

 

Nouveau regard.

 

- Peut-on savoir…, fit timidement Yadegabiiga.

- Oui ! bien sûr ! le coupa le patriarche. Vous serez mariés tous les deux à Aurélie.

- Han ? firent les jeunes gens.

- Ce soir même !

- Comment ? Les deux garçons s’étaient mis debout.

- Oui ! Notre coutume est formelle !

- Pas question ! Les deux jeunes gosiers avaient parlé avec une formidable synchronisation.

- Quoi ?

 

Le vieux s’était levé brusquement. La colère faisait trembler sa barbe impeccablement blanche. Ses yeux lançaient des éclairs. Les garçons commencèrent à reculer.

 

- Notre coutume, on ne marche pas dessus, fit-il. Personne ne vous a appelés ici. Vous voulez une femme et vous êtes venus. Si l’un était venu avant l’autre, il n’y aurait pas de problème. Mais comme vous êtes venus ensemble, vous serez mariés tous les deux à notre fille. Elle aura alors deux époux !

 

Yadegabiiga et Ziobanassa, puisque c’est le nom de l’Hercule, commençaient à sérieusement envisager un moyen de s’éclipser discrètement… du moins, si possible ! Ils aimaient, ils adoraient Aurélie. Mais la polyandrie, peu pour eux !

 

- Vous voulez fuir ? Hein ! Vous nous insultez, c’est ça ? Vous allez voir ! Jeunes gens ! Attrapez-les !

 

Les deux soupirants esquissèrent à peine deux pas que des jeunes et vigoureux hommes sortirent de nulle part et les ceinturèrent. Ils furent immobilisés. On les fit s’agenouiller devant les vieux. Le vieillard se leva. Il posa devant eux deux coques d’arachide.

 

- Pour sortir de cette cour, vous avez deux choix qui correspondent chacun à chaque coque d’arachide. Choisissez. Vous pouvez choisir chacun ou faire un choix unique dont les effets rejailliront sur vous deux. Faites vos jeux !

 

Ziobanassa et Yadegabiiga se regardèrent. Leurs yeux dirent ensemble : « L’union fait la force ! » Yadegabiiga choisit une coque et la donna au vieux, en tremblant. Le vieux décortiqua l’arachide. Il en fit sortir les deux graines.

 

- Cette graine correspond à un choix et celle-ci à un autre. La première, si vous la choisissez, fera de vous les coépoux de Aurélie. La seconde vous fera sortir de cette cour après avoir subi une épreuve difficile. Très difficile ! Alors, faites vos jeux !

 

Les jeunes éplorés se regardèrent une énième fois et décidèrent que mieux vaut avoir une dent pourrie que pas de dent du tout !

 

- L’épreuve, crièrent-ils.

 

Le vieux sourit. Tous les habitants de la concession sourirent. Les femmes gloussèrent. Quant à Aurélie, introuvable. Le vieux leur demanda  :

 

- Avez-vous bien réfléchi ? C’est une épreuve très difficile !

- Oui ! « Pas plus dure que d’avoir ce gros gus comme coépoux », se dit Yadegabiiga pendant que Ziobanassa n’avait pas non plus une pensée bien élogieuse à son égard.

 

- D’accord, fit le vieux. Ils ont accepté, cria-t-il en se  retourna vers les spectateurs. Ces derniers se mirent à rire. Aurélie, viens ! Ils ont accepté !

 

Aurélie arriva avec son sourire toujours malicieux. Une appréhension commença à sourdre dans le ventre des jeunes gens mais qui se dissipa lorsque le vieillard dit :

 

- Vous devez vous agenouiller devant Aurélie et jurer que vous la traiterez pendant trois mois comme une reine. Que vous la reconnaissez comme votre chef incontesté. Qu’elle est la reine de tous vos chefs. Que vous étiez, êtes et serez toujours ses sujets et ses esclaves !

 

Ziobanassa sourit dans son cœur : « C’est ça leur épreuve difficile ? Je prononce depuis deux jours qu’Aurélie est ma reine et ma princesse ! Ils sont vraiment bêtes et leur épreuve est bidon ! »

 

- Nous le jurons, dirent-ils spontanément à l’unisson, « pourvu qu’on sorte de cette situation désespérée », terminèrent-ils dans leur cœur.

 

« Un peu trop facile, cette épreuve », pensa néanmoins Yadegabiiga.

 

- Etes-vous certains ?

- Oui ! affirmèrent-ils. Nous ferons plus que cela si vous voulez !

- Non. Cela suffira amplement. L’essentiel est que vous ayez enfin reconnu, mes chers fils de Yadega et de Gourounsi, que  Aurélie, digne fille de Bissa, a toujours été votre chef incontesté !

 

Par Abdou ZOURE

 

A mes chers esclaves qui se reconnaîtront !

J’attends vos louanges



16/10/2010
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