Les Nouvelles de Zouré

Les Nouvelles de Zouré

La classe qui marchait

Par souci de proximité, mes parents me firent sortir du lycée Amical Cabral, trop loin de chez nous, pour m’inscrire au lycée Razini. Il était juste à quelque deux kilomètres de notre maison. J’y allais donc à pied. Du coup, mes parents firent des économies côté carburant.

On me mit dans la classe de  3e D dans le lycée tout neuf. Ses dirigeants l’inauguraient avec cette rentrée scolaire. C’était vraiment un bel établissement. Il avait de belles pelouses, de beaux et grands arbres, des classes grandes et bien aérées. Moi j’aimais surtout l’uniforme de l’école. Il était très beau et c’est avec fierté que je le portais.


Mon premier jour à l’école fut calme car  nous nous trouvons tous dans la situation de nouveaux  élèves et il n’y avait pas de redoublants pour  terroriser les « bleus ». Cependant, rien ne pouvant jamais être parfait sur terre, il y eu quelques grands qui voulaient montrer leurs biceps. Mais les surveillants les firent se taire bien vite.


Les deux premiers mois se passèrent très-bien. J’aimais mes professeurs, les cours qu’ils nous dispensaient et j’aimais aussi mon uniforme. Mais cela, vous le savez déjà.


Mais le troisième mois, tout bascula pour moi.


Le premier hic a éternué un vendredi matin. Le professeur de français était en train de conjuguer le verbe « falloir » quand la boîte de craies tomba avec fracas au sol. On ne porta aucun intérêt à l’incident et on l’attribua au vent qui soufflait sérieusement ce jour-là. Mais moi, je me suis dit que ce vent-là avait des biceps bien gonflés pour se permettre de faire dégringoler un kilo de craies.


Le second incident eut lieu un lundi soir. Il y avait un élève assez étourdi dans notre classe. Il se nommait Seydou. Seydou a demandé la permission pour aller se soulager à madame Diane, notre prof d’anglais. Madame dit « all right ».


Mais au moment où Seydou est passé au niveau de madame Diane, qui, courbée, écrivait un mot au bas du tableau, on entendit un gros cri. Toute la classe sursauta. Puis, on entendit la claque d’une gifle qui a fendillé l’air en direction de la joue de Seydou.


- Recommence ça encore et je te fais renvoyer ! cria Madame Diane, noire de colère (elle était déjà  noire).


Le pauvre Seydou se frotta la joue et pleura :


- Mais madame, qu’est-ce que j’ai fait ?

- Qu’est-ce que tu as fait ? Ce n’est pas toi qui as… tu n’as pas… tu as… tu as piqué mon postérieur ! clama madame Diane.

-  Mais je n’ai  jamais fait ça !

- Si tu continues de mentir, je te colle un moins 5 ! D’ailleurs, tu ne sors plus ! Vas t’asseoir à ta place !


Le malheureux Seydou revint à sa place, ses yeux transformés en fontaines. On classa l’affaire sans suite.


Le troisième incident eut lieu un jeudi soir. Cette fois-ci, c’est monsieur Christian qui nous distillait son cours d’histoire-géographie. Il s’étalait sur les dérives de la traite négrière quand une poule blanche entra dans la salle par la porte. Ses « cot cot cot » perturbèrent la belle harmonie de la classe et les élèves dédaignèrent monsieur Christian pour se préoccuper de la nouvelle vedette.


Monsieur Christian, en véritable gendarmator qui n’aime pas du tout qu’on vienne perturber son cours, voulut chasser l’importune avec des « chiiits » et des « esssuuuts ». Mais apparemment, cet arsenal resta impuissant, car la bonne dame de poule s’engouffra dans la classe et fonça sous les tables.

La belle cacophonie !


On grimpa sur les tables. Les filles essayèrent leurs voix les plus aigues en cris. Certains élèves montrèrent quelques pas de danse tout à fait ridicule. Bref, la pagaille devint la reine de notre classe. On chercha le virus qui a introduit cette maladie dans ce corps pour le neutraliser. Mais la poule resta introuvable.


On la chercha en vain. Chacun expliqua cette disparition par « peut-être qu’elle est passée par la fenêtre » et classa l’affaire par un « bof » insouciant. Pourtant, la fenêtre se trouvait à une hauteur qu’une poule atteindrait difficilement. Mais on classa l’affaire.


Le quatrième incident fut un grave accident et tout le lycée en fut tout retourné.


Cette fois, ce fut un mercredi soir. Et toujours dans notre classe. Il était presque 17h. Notre prof de science de la vie et de la terre nous débitait des leçons sur les plantes vertes lorsqu’on entendit le toit craquer, comme si quelqu’un marchait dessus. Quelques têtes se levèrent vers le toit mais comme le bruit cessa, elles replongèrent vers les papiers.


Mais un second craquement eut lieu. Le prof leva la tête. Il désigna Félix pour qu’il aille voir ce qui se passait.


Ce dernier sortit et revint dire qu’il n’y a personne ou rien sur le toit. Pourtant, les craquements continuaient. Le prof sortit et interpella son collègue de la classe suivante pour lui demander s’il n’entendait pas des craquements. Ce dernier lui  dit que non. Il revint en classe. Le craquement continuait. Mais certains élèves se mirent à demander « mais de quel craquement parlez-vous ? Nous n’entendons rien, nous ! »


La situation commençait à devenir critique. Une partie de la classe entendait des bruits sur le toit pendant que l’autre les prenait pour des fous parce qu’elle n’entendait rien du tout. Le prof se dirigea vers la porte. Les battants de celle-ci se rabattirent brutalement. Toutes les fenêtres avec.


Un silence sec s’installa dans la classe après le coup de tonnerre des ouvertures qui s’étaient fermées. Les lumières s’éteignirent. La panique gagna la classe. Les élèves se mirent à crier.


Les autres élèves, entendant nos cris, vinrent s’agglutiner à nos fenêtres. On entendait leurs voix qui nous demandaient ce qui nous arrivait. On ne sut pas combien de temps dura ce supplice. Ce qui est certain, c’est que les fenêtres s’ouvrirent tout aussi brutalement qu’elles s’étaient fermées.


Et nous fûmes étonnés de voir le proviseur, des surveillants et des professeurs qui étaient nombreux dans la salle. Le proviseur demandait à monsieur notre prof de SVT.


- Mais bon Dieu, qu’avez-vous à crier de la sorte avec vos élèves ?

- Ce sont… ce sont les fenêtres ! Elles se sont fermées brutalement ! répondit monsieur notre professeur.

- Mais quelle fenêtre ? Elles étaient toutes ouvertes ! Aucune fenêtre n’était fermée !

- Comment ? demanda incrédule, l’enseignant.


Calmement, il prit son sac et s’en fut. En silence. Le proviseur nous dit de sortir et de rentrer chez nous. Le lendemain, aucun des membres de la classe ne vint à l’école. Ils étaient tous alités, souffrant de fièvre et délirant. Mais ils guérirent le même soir.


Moi, je ne retournai plus à l’école.  J’avais perdu la vue. Mais j’appris par mes oreilles que le lycée Razini avait été construit sur un cimetière…

 

Par ZOURE


zourt@yahoo.fr



11/07/2012
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