Les Nouvelles de Zouré

Les Nouvelles de Zouré

L'enseignant malgré lui

          
Face à ma situation d’étudiant sans bourse et sans aide FONER, donc pauvre comme un âne gourounsi, je décidai alors de m’adonner à la vacation dans les cours du soir. Mais j’eus beau arpenter les rues poussiéreuses de Ouagadougou, déposant mes dossiers de demande de vacation à tout va, je n’obtins aucune place. Tout était déjà plein partout. C’est alors que je sus que pratiquement tous les étudiants du campus étaient des enseignants vacataires.


Ayant ainsi bourlingué infructueusement pendant deux mois, je décidai de voir ailleurs car la hauteur de mes dettes amoncelées commençait à me donner le vertige. Alors, je décidai d’essayer du côté des cours à domicile. Après dix visites de 20 concessions, je fus obligé de revoir mes prétentions salariales à la baisse. Les gentils parents, soucieux de l’avenir de leurs enfants, avaient un grand appétit de m’embaucher, vu mes références. Mais ce que je leur demandais en fin de mois étiolait cet appétit.

Mes prétentions pécuniaires revues au plus bas, je repartis à l’assaut pour un second combat. Après m’avoir durci la jointure des doigts à force de cogner aux  portails et écorché la gorge par mes égosillements  au niveau des cours sans porte, je réussis à me faire prendre pour l’encadrement d’un enfant en classe de  CE2.

Le soir de cette réussite, après 3 mois de tourisme qui m’ont permis de connaître mon secteur de fond en comble, je dansai et bondit dans ma chambre, fou de joie. Le lendemain soir, me voici chez la famille Karmzanga, une belle villa à trois étages avec jardin et tout.  La fillette que je devais encadrer s’appelait Bitoaga. Lorsque  j’arrivai, Bitoaga regardait la télévision à côté de sa mère.


- Bonsoir Madame, dis-je.
- Oui, bonsoir monsieur. Que puis-je pour vous ?
- Euh, je suis le répétiteur que vous avez engagé hier.
- Ah oui ! Excusez-moi, j’avais oublié ! Asseyez-vous.
Je m’assis. Pendant deux minutes. Bitoaga regardait toujours tranquillement sa télé.
- Hé, Bitoaga ! Amène ton sac ! On va commencer l’école. Il est l’heure, dis-je.
Bitoaga ignora que j’existais.
- Madame, s’il vous plait, il est l’heure. J’aimerais commencer. Dites à votre fille d’aller chercher ses affaires.
- Bitoaga, dit la dame. Va chercher tes cahiers.
- Pas question, rétorqua Bitoaga. Je vais finir d’abord mon dessin animé.
- Ah, jeune homme ! Il faut patienter pour qu’elle  finisse son dessin animé.

Ma tête ressembla tout à coup à  une boule de piquants et mes yeux devinrent comme des roues d’une Ford des années 60. L’enfant est certes roi mais là, ce n’était pas une reine mais une déesse ! Je voulus me lever et prendre le chemin de ma maison. Mais les regards de créancier carnassier que ne manquera pas de me jeter Madou le boutiquier  firent me raviser. Je ravalai donc mon indignation et attendit bien sagement qu’elle finisse « son dessin animé. »


En effet, elle le finit bientôt. Elle se leva alors, traîna les pieds comme un chien blessé, rentra dans  la maison et y resta aussi longtemps que si elle tenait un conciliabule avec Dieu. Elle ressortit finalement, posa son sac sur la table avec nonchalance et se laissa tomber sur sa petite chaise, baillant à s’en décrocher les amygdales.

- Bon, on commence, dis-je. Sors tes devoirs.
La petite déesse ouvrit son sac  et y fourra le nez pendant plus de cinq minutes pour finalement en ressortir avec… du pain !

- Hé, Bitoaga, j’espère que ton maître ne t’a pas donné comme devoirs du pain !
- Non, c’est le  goûter qu’on m’a donné à l’école ce matin et  que je n’ai pas mangé.
- Pourquoi ? Tu étais malade ? Demandai-je en regardant ce que le pain contenait entre ses entrailles : des tranches de saucisson arrosées de mayonnaise. L’eau me vint à la bouche. Normal, puisque cela n’a jamais figuré dans mon menu !
- Non, il n’est pas bon ! C’est une cochonnerie par rapport à ce qu’on me donne ici à la maison. D’ailleurs, maman a dit que j’emporterai désormais le goûter que la servante préparera.

J’en restai bouche-bée. Pour que  les mouches n’y pénètrent pas, je dis :

- Bon, sors maintenant tes cahiers.

Elle les sortit enfin et la répétition put commencer 45 mn après l’heure. Au bout d’un moment, j’étais en train d’expliquer une opération lorsque la voix de ma charmante élève tonna :

- Non, monsieur ! C’est faux ! Ce n’est pas comme ça ! Le maître a dit que 3 + 2 = 5 mais il n’a jamais dit que 2 + 3 = 5 ! Tu ne connais pas ! Tu es un faux maître !
Automatiquement, la voix de la mère réagit :

- Bitoaga, avec ta bouche de souris alcoolisée, ne contredis pas ton maître et puis tu le vouvoies ! Monsieur, il faut la frapper si elle  est impolie !

Mon drôle d’élève rentra dans les rangs. Et le travail continua. Deux minutes plus tard :

- Je ne suis pas d’accord ! C’est comme ça que le maître a écrit ! Il a écrit « les feuilles des arbres sont fertes . » C’est « fertes » et non « vertes » !
-Voyons Bitoaga, tu connais une  couleur   de ce nom-là ? Et  puis, lorsque tu regardes les arbres, ils ont  quelle couleur ?
-On ne parle pas des arbres mais de mon cahier !
-Bon,  je suis le maître ici et je dis qu’il  faut corriger cette bêtise !
-Non !
- Dépêche-toi !
- Hé, vous-là, ne criez pas sur mon enfant comme ça !
C’était la mère.
- Mais, madame, votre enfant est impolie et ne veut pas faire ce que je lui dis !
- Ce n’est pas une raison pour crier sur elle comme ça ! Vous voulez la tuer ou quoi ? Ou bien vous ne savez pas que la loi dit  de ne plus violenter les enfants ? Vous les étudiants, vous êtes toujours comme ça ! Vous n’êtes jamais contents de rien ! C’est vous qui criez chaque jour au campus ! On vous connaît maintenant !
- Mais, madame…
- J’ai dit de ne pas crier sur mon enfant ! Enseignez-lui mais ne criez pas sur elle !
- Dans ce cas, je préfère mes chères dettes ! Elles sont dures, certes, mais créanciers eux au moins me respectent !
- Pardon ?
- Non, madame, ça ne vous concerne pas. C’est une histoire entre moi et… moi. Adieu madame.
Et je rentrai chez moi.


Abdou ZOURE



02/10/2010
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