Les Nouvelles de Zouré

Les Nouvelles de Zouré

Juste un peu de pitié

 

JUSTE  UN PEU DE  PITIE…

 

« …Juste  un peu de pitié

pour ces fils qui souffrent ici-bas. »

 

 

            C’est l’histoire  d’une fillette  qui  souffrait  ici-bas.

 

            -Niitâyô ! Niitâyô !

            -Oui, tonton ?

            - Apporte-moi  de  l’eau  bien  fraîche !

            -D’accord, tonton !

 

            Elle s’appelle Niitâyô. Elle se posait  des  questions sur  le  sens de  son  nom. Son grand-père   le  lui avait  expliqué  lorsqu’elle avait  cinq (5)  ans  avant  que  l’avalanche  qui  emporta  son père  et  son grand-père, les laissant, elle, sa mère, ses six frères  et  sœurs, dont leur frère  aîné Nogognan, sans ressources. Niitâyô  avait hoché la tête  aux paroles  sans saisir  leur  sens réel. Et  la question  revenait  trotter  continuellement  dans  sa tête : «  que  veut dire niitâyô »

 

            -Niitâyô ? Elle  vient  oui  ou  non  cette eau ?

            -Tout de suite  tonton! J’arrive!

 

            Niitâyô  laissa  tomber  la hache qui  lui  hachait  ses pauvres  petites  mains  et  courut  à  la  cuisine  chercher  l’eau  demandée  avec  tant d’insistance.

 

            La vie  a  dévoilé  sa cruauté  très tôt, trop tôt  à  Niitâyô. Le  village  de  Yantourla  était  le  même, doux ; les arbres  verts, les  puits  pleins d’eau. Le  soleil  s’était  levé au  même endroit,  comme tous  les jours, les  poules chantaient, les moutons bêlaient  gaiement…Tout  était  comme tous  les  jours  ce  jour-là. Rien  ne prédisait  que…

 

            Cependant  ce  jour-là, rien  ne  put  les  empêcher  de  venir  dire  à  sa mère  et  à  tous, rien ne  les  empêcha  de   planter  dans  le  cœur    vierge  et  sensible  de   Niitâyô  la  graine  douloureuse  de  la  douleur  en  disant  simplement : le  grand-père  et  le père  de  Nogognan sont  morts  dans un accident  de  la route en  revenant  de Tenkodogo  où  ils  étaient  pour vendre des  légumes.

 

            C’est  alors  que, pour  Niitâyô, sa mère  et  ses  frères et  sœurs, le  village  devint  épineux, les  puits  se  remplirent  de  fiel et  d’aridité,  les  arbres  se  détournèrent, les  animaux se  mirent  à  ricaner. La  mère  de  Niitâyô  fut  chassée  du village  après  avoir  refusé  le  grand-frère  de son  mari  comme  second époux. Elle  se réfugia dans  le  village  où  est  enterré  le  placenta, le vaisseau  qui l’a  amenée  sur  terre. Son  village  natal.

 

            Niitâyô  et   ses  frères  et  sœurs, confiés  à  la  deuxième  femme de leur  défunt  père  qui  a  accepté  les  secondes  noces, s’enfuirent  rejoindre  leur  mère  dans la famille  maternelle ; où  la  famille paternelle  les  poursuivirent  et  les ramenèrent, de  force. Avec  des fouets.

 

 

            Alors  commencèrent  pour  eux  des traitements  inhumains.

 

            Au  clair  de  lune, elle, ses  frères  et  sœurs  et  d’autres  enfants  écoutaient  leur  grand-père  raconter  des  contes  où  étaient  maltraités  des  orphelins. Ils  n’auraient  pas crû, en  ce  temps-là,  que cela  pourrait  leur  arriver. Mais  ils  avaient  l’espoir. Dans  chaque  conte  conté,  le  bien  triomphait toujours  du  mal  et  l’orphelin  avait  sa  revanche sur  ses  bourreaux.

 

            Cependant, brimades  sans  causes,  punitions  sans fautes  semblaient  ne  jamais  vouloir  s’arrêter  et  pleuvaient  continuellement  sur  leurs  corps  sans  habits, grelottant  à l’heure  où  la  nuit  hésitait  entre  le passé  et  le  futur, frissonnant  à  la  saison où  la  main gelée  brûlerait  délicieusement  dans  le  feu. Ventres  creux, les  yeux  tels des grottes  sans  fond, les  côtes  dégarnies,  ils  souffraient  dans le silence.

 

            Un beau jour, saturés, ses cinq frères  s’enfuirent. Où ? Que  Dieu  les  garde ! Le  plus  grand, Nogognan, avait  quinze (15)  ans.

 

            Elle  resta donc seule avec  sa sœur, âgée de  sept (7) ans, d’un an son  aînée.

 

            Furieux, leur  oncle  et  nouveau  père  et  leur  marâtre  déversèrent  leur courroux sur elles. Les  brimades  non justifiées  dansèrent de  plus  belle  une  sarabande  continuelle  et   déchirante  sur  leur dos, leur tête, leurs  jambes.

 

            Elles  ne  connaissaient  pas  le  monde. D’école, on  n’en  a  jamais  parlée  avec elles. Elles  ont  écouté  les  contes de  leur grand-père. Elles  savent que  le  monde  est  vaste. Elles  savent  qu’elles n’ont  pas  souffert  plus  qu’une autre  en  ce  monde, mais  elles  croient que  personne n’a  autant  souffert  qu’elles.

 

            Un jour, une  cousine  de  leur  oncle  vint  de  la  grande ville, Ouagadougou, avec  une  belle voiture. Elle  vit  Niitâyô  et  demanda  à  l’amener  avec elle.

 

            -Elle  pourra  m’aider  un peu  dans le  ménage et  je  l’inscrirai  à  l’école. Elle  est  sûrement  intelligente, a-t-elle  dit  à  sa marâtre, pendant  que Niitâyô  balayait  la vaste cour, sous  l’œil  vigilent  de cette  dernière.

 

            La cousine  en  a parlé  à  l’oncle qui  a  accepté. La  séparation  d’avec sa  sœur  fut  pénible :

 

            -Vas  ma sœur, disait  Doukouyè,  les larmes  inondant  ses  joues  et  l’entrelacs de  nœuds  mille  fois  cousus  qui lui  servait  d’habit. Vas ! Que  Dieu te  supporte là-bas  et  qu’Il  ne  m’enfonce pas plus  loin  le  pieu  enflammé  qui  me  tue  ici.

 

 

            Elle  éclata en sanglots  et  s’enfuit.

 

            Niitâyô  arriva  à  Ouagadougou avec  sa  « tantine. » 

 

            De ménage, oui mais  d’école, on  n’en  parla  point. Cependant  Niitâyô  ne  s’attrista  point. La  maison était  belle, vaste, nouvelle. Elle  se nourrissait abondamment, sa  « tantine »  et  son « tonton » étaient  d’une  extrême  bonté  avec  elle.

 

            Tout  ici était  l’opposé  de  là-bas. Alors, elle  n’eut  du  chagrin que  pour  sa  mère, sa  sœur  Doukouyè  et  ses  frères  qui  sont  partis vers  un destin  inconnu.

 

            Sept (7) ans  se  sont  écoulés  ainsi  dans un quasi  bonheur. Mais  aujourd’hui, pour  une raison  dont elle  ignorait  l’origine, Niitâyô se  pose des  questions  sur  le sens de son  nom.

 

            -Niitâyô!

            -Oui, j’arrive.

 

            Niitâyô  prit  le plateau  où tanguaient doucement un  verre  et  une bouteille  d’eau fraîche  et  sortit  de  la  cuisine  vers  la  chambre  de  son  oncle.

 

            Sa  tante  a  effectué  un voyage  d’affaires  au  Japon. Elle  a  juste  prit  l’avion  ce  matin  très  tôt. Son  oncle  l’a accompagnée  à  l’aéroport. A  son retour,  il  s’est  enfermé dans  sa chambre. Niitâyô  éprouvait  beaucoup  de  reconnaissance  pour   ses bienfaiteurs. Reconnaissance qui  se  transforme  progressivement  en  affection. Sans  eux, sûrement qu’elle    croupirait  encore     dans  les  marécages calcinants, poisseux  et  immondes  des  peines  que  leur  infligeaient  leurs  « parents. » Elle  adressa  mentalement  une bénédiction  à  son oncle.

 

            Arrivée  à  sa porte,  elle  frappa.

 

            -Entre ma  fille!

 

            Elle entra  avec  le  plateau. Son  bel oncle était  assis  sur le  lit, torse  nu, avec une  simple  culotte petite, tenant  deux  bâtons.

 

            -Pose ça  sur  le  guéridon.

 

            Elle  s’exécuta.

 

            -Ferme  la porte, prend ce  bâton  et  aide-moi  à  tuer une  souris. Je  l’ai  entendue  faire  du  bruit quelque  part  tout  à l’heure!

 

            Niitâyô  ferma la  porte, à  clé. Elle prit le  bâton.

 

            -Bien! Vas  vers  ce coin, là! C’est  là que  je l’ai entendue. Remue  les  affaires  avec  le  bâton. J’attends  derrière  toi. Si  elle sort ! Poum ! Je  l’abats! D’accord ?

            -D’accord, tonton ! Acquiesça  Niitâyô  en  riant.

 

            Elle  tourna  le  dos  et  s’approcha  du  coin  indiqué. Au  moment  où  elle commençait  à remuer,  elle entendit  son  oncle  s’approcher. Elle  dit, confiante :

 

            -Sûrement qu’elle  va  sortir  tout  de suite ! Soyez  prêt à  frapper ! Ces  sales  bêtes sont  vraiment  mauvaises. Elles  ont dévoré une fois tout  le  pain dans  la cuisine. Vous  êtes  prêt  tonton ? Tonton ?

 

            Silence. Soudain, elle  sentit sa  respiration  dans  le dos, haletante, précipitée. Un  doute  instinctif  lui  traversa l’esprit  et  elle  se retourna  brusquement.

 

            Tout  aussi  brusquement, la  main  s’abattit  sur  sa  bouche,  tandis  qu’une  autre  retirait  le bâton. Puis, le « tonton » bien aimé l’attrapa  par  la  taille  et  la  jeta  sur  le lit.

 

            Une main velue  s’abattit sur  sa  jupe et  l’arracha.

            Alors elle  comprit. Sa  bouche  libérée, elle se  mit  à  supplier :

 

            -Non ! Tonton, non! Non  pardon ! Je  suis  votre  fille ! Non, tonton ! Nooooooon….

 

 

             Dehors, sur  un  arbre, un  oiseau  chantonnait tristement :

 

Niii tô niitâyooooô

Bié na woné touooooô

Niii tô niitâyooooooô

Nii ka ta  yoooooô

Ka yiin ba ki kirma

Ka  tooooô  

 

 

« L’enfant s’appelle Niitâyoooô

L’enfant  qui  souffre.

L’enfant  s’appelle  Niitâyoooô

L’enfant  qui  souffre

Juste  un  peu  de pitié pour elle

Car  elle souffre."

 

Abdou ZOURE



02/10/2010
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