Les Nouvelles de Zouré

Les Nouvelles de Zouré

Donne moi ton numero de copie

 

 

La session est passée. J’attends les copies. Et c’est aujourd’hui qu’elles  « tombent. » Direction le campus donc. Cahin caha, j’arrive et j’hésite à mettre ma bicyclette déglinguée au parking, quitte à alléger mes flaques poches de 25 F CFA.

 

Etant entendu que je  n’ai que 100 F CFA pour midi, j’adosse ma ferraille à un arbre et me voilà au jardin de mon UFR. Je trouve mes potes et mes « potesses » qui attendaient aussi, avec force débats en apéritif. Pas d’étudiants sans palabres. Après quelques « tampons » par ci par là, je vois un camarade, que je ne connaissais pas, qui tient un journal. Je veux lire le journal. Je m’approche et  dis :


- Salut mon frère ! C’est commo ?

- Ouais, djo, ça gage et chez toi ?

- Ouais, à part la galère et les copies, ça peut aller. Han, tu tiens un journal !  Je peux jeter un coup d’œil ?

- Ouais, pas de blem !

Qui a dit qu’étudiant est aigri ! Après avoir distraitement parcouru l’actualité … de  l’actualité, je fonce vers l’actualité… des recrutements. « Un particulier cherche un chauffeur… » Sachant que si je suis recruté, je vais chauffer autre chose  que le moteur du véhicule, je passe au suivant. « ONG recrute cuisinier… » Ne sachant que cuire  le benga et le riz gras et ne connaissant d’autres plats que ceux-là, il n’y a aucune chance que les membres de cette ONG m’emploient pour que je vienne leur servir en entrée, en plat principal et en dessert… des ballonnements ! «  Avis de recrutement… » Le poste qu’on propose cadre  avec ma filière de formation comme un gourounsi assis devant un plat kassena. Je commence à lire les conditions à remplir. « Etre burkinabé… » Je le suis à 200% « Avoir le niveau BAC.. » J’ai plus que ce niveau-là ! « Etre disponible… » Bon, ça, on peut toujours voir. « Avoir au maximum 25 ans.. » C’est connu, ils sont rares, les étudiants âgés de 90 ans ! « Avoir 10 ans d’expérience… »


- Nom d’une condition préhistorique ! Ne savent-ils donc pas que le travail des enfants est interdit ? Car il faut avoir commencé à travailler à peine sorti du ventre de sa mère pour pouvoir remplir cette condition !


C’est un camarade qui vient de s’exclamer. En levant la tête, mon nez faillit télescoper plusieurs autres nez plongés  dans le journal, que je n’avais pas entendus arriver. Et voilà que  nous nous mettons à faire les éloges du recruteur… à l’envers :


- C’est la vérité, ça ! A peine sorti du ventre de sa mère, il faut s’inscrire à l’école « Expérience dans les domaines de … », dit l’un.

- Eh djo, tu me passes l’adresse après pour que je parte m’inscrire.  Parce que je n’ai pas encore le diplôme « Expérimenté ès.. », ajoute l’autre.

- N’oublie pas de demander les frais de scolarité ! Renchéris-je.


Et cela continue de plus belle jusqu’à ce que le délégué de classe sorte avec les premières liasses de copies. Après plusieurs  bousculades sérieuses, je tombe sur l’une d’entre elles. Verdict : 10/20 pour moi. Cela s’annonce plutôt bien. Mais pas pour tout le monde. Dame Déception est en train de peindre sa tristesse sur  de nombreux visages.

 

Deuxième convoi de copies. Bousculades : 5/20. Là, c’est comme quitter la Tour Eiffel pour rejoindre le sol par vol direct sans escale ! Douloureux. Troisième container de copies. Bousculades molles. Sentence : 3/20. Je regarde la note griffonnée en rouge sur la feuille et je pense bêtement qu’elle ressemble à une fourmi qui porte au dos un éléphant !  

 

Quatrième bataillon de copies. Pas de bousculades : 00. Je n’ai jamais vu de si vrais jumeaux qui se ressemblent autant ! Le jardin de l’UFR est subitement devenu comme le cimetière municipal. Même les mouches sont frappées de surdité. Du cinquième au neuvième container de copies, mes notes décident de rester, comme des animaux nocturnes, dans la zone sombre qui s’étend entre zéro et les frontières de cinq sur vingt. Et je ne suis pas le seul à sombrer comme le Titanic.

 

Mais que s’est-il passé ? J’ai fait mon « 2 kpi »  dans les règles de l’art. Madou le boutiquier a failli faire jaillir du feu de ses mains à force de les frotter parce que, moi et mes copains étudiants du quartier, nous faisions grimper son chiffre d’affaires rien que par l’achat de café !  Tout ça pour rien ?

 

Dieu m’est témoin. Les arbres et les herbes du Musée national m’ont vu. La porte du Parc urbain Bangreweogo m’a assez salué. Les lampadaires du Boulevard Charles de Gaulle m’ont trop lorgné. Les feuilles où sont étalées mes cours pleurent de vieillesse parce que je les ai trop pelotées. Tout ce beau monde peut témoigner que je n’ai pas dormi.

 

Que j’ai bossé dur. Mais qu’est-ce qui a foiré et m’a fait glisser dans les tentacules de la deuxième session ? La tête basse, après avoir reçu et adressé plein de « ça va aller » avec mes camarades, je traîne les pieds vers mon vélo.

 

Mais il n’est plus là.

A. ZOURE



02/10/2010
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