Les Nouvelles de Zouré

Les Nouvelles de Zouré

A pauvre, pauvre et demi

 

Assis dans ma chambre, je regardais. Ma pendule déglinguée, accrochée au mur troué comme  un champ de guerre, indiquait 19h. Mes yeux rougis et fatigués se baissèrent vers mes genoux.

 

Ils étaient recouverts par des liasses de papier où couraient des rangées de lettres. Des lettres que j’avais essayé de lire et de retenir. Maintenant, mes yeux sont fatigués. Ils ont de la peine à voir mon matelas qui  avait les traits d’une bouse de vache écrasée sous la patte d’un éléphant. Un semblant de drap couvrait sa laideur tandis que le sol essayait de ne pas suffoquer sous sa masse.

 

Soudain, un bruit de frottement sur ma table. Mes yeux, péniblement, louvoyèrent vers la source du bruit. Un énorme cancrelat  jouait  à Tom Cruise entre les collines, les monts, les chaînes de montagnes désordonnés  et désarticulés que formait l’amoncellement de  mes bouquins, cahiers et paperasses sur la table.

 

Une table penchée, comme prête à embrasser le sol avec sa cargaison au moindre souffle de vent. Figeant mes  yeux sur le téméraire et mal élevé cancrelat, ma main  tâta le matelas pour tomber sur une boule. Il s’agissait d’une chaussette qui, l’instant d’après, devint un missile cubain.

 

Je ne sais si c’est l’odeur de ma chaussette qui paralysa l’insecte ou la fureur contenue dans ma projection qui produisit cet effet, mais  dans tous les cas, à peine la boule l’a-t-il atteint que le cancrelat prit son vol pour le monde de ses ancêtres. S’il en  a.

Un autre grattement succéda au brutal départ du cancrelat. Mes yeux découvrirent ses congénères qui se livraient à cache-cache sur mon cintre. Si on pouvait appeler  ainsi cette espèce de bois mal équarri où pendouillaient des morceaux de bois crochus.

 

Immédiatement, une autre boule de chaussette fusa vers ces indiscrets qui s’amusaient à jouer les pisteurs dans mes habits. En fait d’habits, il s’agit de trois chemises défraîchies et de deux pantalons aux genoux et au fond élimés. Mais propres.

 

Car, on peut être pauvre, sans pour autant être un clochard. La chaussette atteignit le cintre et fit mouche. Beaucoup trop, d’ailleurs. Le cintre, les habits et les cancrelats s’unirent pour rejoindre le sol. Le sol où était classée l’armée de mes chaussures, formée surtout d’anciens combattants. Trois paires de sandales, dites « tapètes », une paires de sandales nommées « bakari s’en fout de  l’eau », une paire de souliers et une paire de baskets. Assez vieux mais toujours efficaces. La colonie de cancrelats ne s’avoua pas vaincue et sortit à queue leu leu pour s’engouffrer aussitôt dans ma valise. Lassé, je les laissai dans leur nouveau territoire et me replongeai dans mes paperasses. Une. Deux. Trois.

 

Ma tête se releva doucement  pour se fixer sur une pédale de mon vélo qui partageait nuitamment ma chambre. Cette pédale reflétait mon extrême pauvreté. Elle est cette pauvre table, ce misérable matelas, ces habits étriqués, cette valise élimée.

 

Tout cet attirail dont ne voudrait même pas un clochard. Mes yeux cessèrent de voir que cette pédale ressemblait à l’index d’un squelette poli pour refluer vers ma pensée. Celle-ci était tapissée par les beautés que peut m’offrir la vie. Beau travail. Beaux salaires et compte bancaire. Belles maisons. Belles femmes. Belles voitures. Belle assise dans la société. Belle vie. Belle mort. Belle… Belle… Mais il faut  pour cela, de beaux diplômes. Et de beaux diplômes ne se gagnent pas en restant là à faire de beaux rêves idiots mais en faisant de beaux « boilot », même s’ils sont douloureux et pénibles. Je me rabrouai donc pour me replonger ensuite dans le sable mouvant des paperasses étalées sur mes jambes.

 

J’essayai de boire. Boire… Mes yeux se fermèrent et mon menton tomba sur ma poitrine. Combien de temps restai-je ainsi, je ne sais. Quoi qu’il en soit, je sentis à un moment donné comme une douce caresse sur ma main posée sur le matelas.

 

Je poussai un soupir de satisfaction. La caresse continua doucement.  Atteignit mon épaule, pour redescendre sur ma poitrine. Dans mon esprit, cette caresse était l’œuvre d’une douce demoiselle qui a décidé de me faire une caressante surprise. La source de mon enivrement était maintenant sur mon ventre.

 

Elle progressa lentement plus bas et … entra dans ma culotte. J’allais pousser un cri  d’exaltation lorsque ce dernier se transforma en un cri d’épouvante et de douleur. La « caresse » m’avait mordu. Mes yeux s’ouvrirent brutalement.

 

Mes mains s’engouffrèrent sous ma culotte. Pour en ressortir avec…une salamandre ! D’horreur, mon bras se détendit et le reptile fila dehors par la porte largement ouverte. Je me remettais doucement de ce réveil brutal lorsque je remarquai que la porte était « largement » ouverte. Pourtant, je l’avais  fermée avant de commencer mon « boilot », parce qu’il faisait froid. C’est alors que je sentis mon corps grelotter. Pourtant, j’avais porté un pull quand…

 

Je regardai mon torse. Nu. Mes jambes également. Je me retournai vers mon cintre pour prendre un habit pour me couvrir afin de mieux réfléchir  à ce drôle de phénomène. Mais, plus de cintre. Plus d’habits. Plus de chaussures.  Plus de valise. La table, disparue. Seules mes paperasses couvraient le sol.

 

Le mur troué avait pris la place de ma pendule déglinguée. On m’a pillé ! Attrapant ma tête,  je me laissai tomber en arrière comme un pieux de bois mort. D’un bloc.

 

Lorsque j’atteignis le sol, un coup de tonnerre retentit dans les loges de ma tête, pendant que les clochers de mille églises se mirent à sonner. J’avais oublié que mon cambrioleur n’avait pas oublié de prendre mon matelas. Mon si laid matelas !

 

Par A. ZOURE



17/10/2010
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