Les Nouvelles de Zouré

Les Nouvelles de Zouré

28- Marche démarchée

Un coup de tonnerre dans ma tête. Puis, je vois le sol qui se précipite à une vitesse incroyable vers ma tête et … encore un coup de tonnerre dans ma tête. Normal donc que ma  pauvre caboche se mit alors à résonner comme si toutes les cloches de tous les temples que compte la Chine s’y étaient donné rendez-vous pour danser au djandjoba.

A travers les mailles de ce tintamarre, je sentis que des mains se faufilaient dans mes poches, pendant que d’autres tâtaient tout le reste de  mon corps. J’entendis une voix étouffée qui disait :

- Cherche aussi là où se trouve son bidule. Les gens deviennent pervers quant il s’agit de leurs sous !

Je n’avais pas fini de former le point d’interrogation qui est à la fin de ma question qui demandait de quel bidule ce gus parlait que je poussai un grognement de surprise et de douleur. Il y avait une main qui venait de saisir à pleins doigts mon …bidule et le fouillait comme si elle y avait égaré son aiguille.

Au bout d’un long moment, mon calvaire prit fin.

- Qu’est-ce vous avez trouvé ? demanda la voix étouffée.

- Non, rien. Juste 25 francs ! répondit une autre voix.

- C’est quel rat de quel sale égout on s’est encore dégoté ? reprit la première voix, vibrant de fureur. La vie chère nous mène vraiment la vie dure. Bon, fichons le camp !

Ils fichèrent effectivement le camp après avoir vigoureusement fichu un coup de chaussure (drôlement très pointue) dans mes côtes.

Je me relevai une heure plus tard et rentrai chez moi.

Le lendemain, Soulby se pointa chez moi.

- Mon gars, sors, y a marche aujourd’hui ! Vient on va aller marcher contre l’injustice, l’impunité, l’in…

- Je suis malade, marmonnai-je.

- Y a pas de maladie qui tienne quand le pays est lui-même malade ! Debout !

Soulby ne tint aucunement compte de mes bougonnements et je me retrouvai quelques instants plus tard au milieu d’une foule d’étudiants qui vociféraient des slogans sans savoir exactement ce que je faisais là.

- Soulby, y a quoi ici ? demandai-je à mon ami.

- Il y a un acte d’injustice qui a été posé dans le pays et les étudiants sont sortis protester !

- Mais ce n’est pas nouveau, non, dis-je.

- Certes. Mais cette fois-ci, c’est une goutte qui fait déborder le vase !

- Parce que le vase ne débordait pas déjà ?

- Bon, mon ami, laisse grosse palabre là, on va faire ça après ! dit Soulby. A bas ! L’injustice, à bas !

Des innombrables « à bas » plus tard, on se retrouvait sur le macadam. Moi et Soulby se retrouvaient au beau milieu du boa humain qui serpentait sur le boulevard, de sorte qu’on ne comprit pas plus tard ce qui arriva. En tout cas, au début, le rang coulait librement quand tout à coup, il s’est bloqué, pour ensuite se disloquer !

C’était brutalement la débandade.

Brutalement aussi, mes yeux me brûlèrent comme si une vieille sorcière avait eu la salace idée de les confondre avec des beignets de haricot. Je les frottai. Cette douleur « épicée » ne prit pas fin que mon dos retentit comme un tambour, accompagné d’un « tu fous quoi ici, fous le camp ! »

Mes yeux s’ouvrirent tout à fait et mes jambes se mirent à jouer leur rôle originel quand ma tête se mit encore à résonner comme la nuit dernière. Je gambadai comme un margouillat, escaladant avec une vélocité incroyable mur et bornes et me retrouvai enfin dans un quartier que je n’ai jamais visité depuis que je suis arrivé à Ouaga. Là, je puis m’arrêter pour jeter un œil sur  mes arrières, haletant comme un phoque en pleine asphyxie.

C’est alors que je vis  des volutes de fumées jouer à la marelle dans le ciel ouagalais.  Je rentrai chez moi.

Le soir, je vis Soulby arriver chez moi. Je faillis fuir, croyant voir un kamikaze. Tête bandée avec sa chemise, pantalon déchiré, chaussures trouées  et visage noirci.

- On les eus ! cria-t-il, le bras levé.

- Qui ? Demandai-je.

- Ben, les forces du désordre !

- Vous les avez eus comment ?

- Ils nous ont lapidés. Nous aussi on les a lapidés. Ils nous ont blessés, nous aussi, nous les avons blessés ! On a donc gagné !

- Je dirais plutôt que c’est match nul !

- On dit match nul quand les deux adversaires luttent à armes égales ! Ils avaient des cagoules, des protège-trucs partout sur leur corps, roulaient en véhicule et avaient des gaz lacrymogènes lancés par des fusils. Nous, on était nu comme des vers et nous n’avions que des cailloux lancés par nos bras amaigris par les maigres plats des pauvres RU !

- Et on a eu  enfin notre justice ?

- Pas encore. Mais ça viendra ! ça finira pas changer !

- ça va aller, quoi !

- C’est ça même !

- Bon, on va au RU, car j’ai faim maintenant !

- Ok. Allons-y !

On partit au RU. On trouva un rang. On s’aligna. Pendant quatre heures. Les portes du RU ne s’ouvraient pas.  Finalement, on se rendit à l’évidence. Elles ne s’ouvriraient pas ce jour-là. On repartit chez moi. Tristes. Où aller  pour manger ? On fouilla nos poches. Soulby trouva 50 francs. Moi, 75 francs. Le FONER tombe dans deux jours. On décida d’aller manger du « benga », en nous disant que le  RU ouvrira le lendemain et qu’il constituera un pont pour atteindre le FONER.

Dans le « restaurant » de la vendeuse de « benga », il y avait une vieille télé. Noir-blanc. Cela ne nous empêcha pas de voir la présentatrice du journal de 20h déclamer ceci :  « Le gouvernement déclare la fermeture des universités et  l’arrêt des œuvres sociales sur toute l’étendue du territoire jusqu’à nouvel ordre » !

Soulby et moi nous regardâmes. Soulby dit dans un souffle :

- Je n’ai plus l’appétit !

A suivre…

Par ZOURE



28/05/2012
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